L’été pointe le bout de son nez, depuis quelques semaines à Barcelone. Et avec lui revient son flot de touristes, comme avant la pandémie. Les habitants s’exaspèrent et dénoncent les promesses non tenues de la mairie.
Photos : Clémentine Laurent/Equinox
La semaine sainte de la mi-avril a été comme du pain béni pour les hôteliers, restaurateurs et commerçants de Barcelone : de nombreux touristes sont venus profiter et dépenser dans la capitale catalane, atteignant presque des taux d’occupation d’avant-Covid. Pour le plus grand bonheur des professionnels du secteur, mais pas pour les riverains.
“Les touristes ne respectent pas le quartier. Ça fait plus de 6 semaines que tout est plein, ici, il y a tellement de gens qu’on a l’impression que le quartier va couler”, soupire Lourdes López. Vice-présidente d’une association d’habitants de la Barceloneta, c’est avant tout une enfant du quartier qui défend bec et ongle son mode de vie et ses riverains. Depuis quelques semaines, environ 80 % des touristes sont revenus, selon elle, dans ce petit quartier de Barcelone qui s’élance vers la mer. Et avec eux, des problèmes que les habitants avaient presque oubliés, durant la pandémie : foule sur certaines rues et sur la promenade qui longe la mer, vendeurs ambulants, bruit…
“Pour le moment, le quartier est plutôt propre” remarque Lourdes López, “mais il y a déjà beaucoup de bruit, surtout à cause des bicitaxis qui mettent de la musique pour attirer leurs clients”. Elle dénonce d’ailleurs ce type de véhicule, circulant dangereusement et créant des risques d’incendie dans les immeubles de la Barceloneta, comme cela a déjà été le cas en octobre 2021 à cause de nombreuses batteries de bicitaxis en charge dans un local du quartier.
Les quartiers touristiques de Barcelone, étouffés sous le tourisme
Ces problèmes, la Barceloneta n’est pas le seul quartier à en souffrir. Les autres zones touristiques de la ville y font aussi face, comme les alentours de la Sagrada Família, où l’espace public est occupé par les groupes touristiques, vélos et bicitaxis, empêchant les riverains de mener une vie normale. “On a l’impression de n’être que de figurants dans un parc d’attractions”, résume Martí, membre de l’Association d’habitants du Gòtic. Dans ce quartier central mais aussi historique de Barcelone, la foule est revenue, occupant les ruelles et faisant du bruit de jour comme de nuit.
Photo : Nico Salvadó/Equinox
Rien de nouveau dans tout cela, et là est le problème : malgré la pandémie, tout semble redevenir comme avant. “On pensait que la période du Covid pourrait faire naître des alternatives afin de réduire le poids du tourisme dans l’économie, réduire le nombre de touristes, générer des initiatives qui n’en dépendent pas…”, regrette Martí. “Les administrations n’ont rien fait, c’est une déception. Tout redevient comme avant, et les autorités continuent à vendre Barcelone aux touristes sans s’occuper des habitants. C’est la même histoire qui recommence. ”
À la Barceloneta, même constat. “On est déçus, frustrés. La mairie nous a fait beaucoup de promesses, mais pour le moment, rien n’a été fait”, déplore Manel Martínez, qui remarque cependant que la mairie devrait convoquer prochainement l’Association d’Habitants de la Barceloneta, dont il fait partie, afin d’exposer des propositions de solutions.
Changer de modèle touristique, un défi pour la ville
Durant la pandémie, la mairie de la ville avait pourtant bien évoqué son souhait de changer de modèle touristique, afin de palier tous les problèmes en découlant depuis des années : augmentation des logements touristiques et hausse du prix des loyers, précarisation des habitants des quartiers touristiques, emplois mal payés et mauvaises conditions de travail, bruit, insalubrité, insécurité…
“Ils mettent de la musique la nuit, ils urinent sur les conteneurs des poubelles, et j’en ai même vu qui faisaient l’amour entre les voitures !”, s’insurge une habitante de la Barceloneta. “Ici, les maisons sont petites, on vit dans la rue, les portes sont toujours ouvertes”, continue Lourdes López. “Alors, imaginez-vous quand il faut se lever plus tôt pour nettoyer son trottoir parce que quelqu’un a vomi devant chez vous !”
À ce jour, la mairie de Barcelone est consciente du problème et le déplore. Jordi Rabassa Massons, conseiller municipal et responsable du district de Ciutat Vella, a dénoncé des “agglomérations insupportables” de touristes durant la Semaine sainte, une situation “qui n’apporte rien de positif” au quartier. Selon lui, “nous n’avons pas appris qu’il est urgent de changer le modèle économique”.
Le groupe d’opposition Esquerra Republicana de Catalunya à la mairie a d’ailleurs interpellé celle-ci, réclamant un “plan été” pour ne pas revenir à revenir aux problèmes de la situation touristique d’avant-Covid. Ils demandent notamment la fiscalisation des logements touristiques illégaux ou encore une limitation du nombre de croisières.
La mairie avait déjà mis en place une nouvelle stratégie touristique en vue de l’année 2020, en approuvant notamment un Plan spécial urbanistique de logements touristiques, et prévoyait des politiques de lutte contre les actes illégaux liés au tourisme et la création d’un service de médiation entre touristes et habitants. Les autorités prévoyaient également la mise en place de mesures et instruments pour réduire la pression touristique dans l’espace urbain et sur le marché immobilier. Mais plusieurs aspects de ce plan de stratégie du tourisme ont été modifiés ou repoussés par la pandémie, selon la mairie, qui prend donc du retard sur son calendrier.
Francesc Xavier Marcé Carol, conseiller municipal délégué au tourisme, a déclaré la semaine dernière, après les chiffres d’occupation touristique durant la Semaine sainte, que ces changements prenaient du temps. “La mairie a approuvé diverses propositions et mesures afin de décentraliser l’activité des visiteurs et ‘démassifier’ le centre de la ville. Nous travaillons actuellement sur toutes les propositions et les programmes : plus grand contrôle des espaces patrimoniaux, réduction progressive de la mobilité qui n’est pas nécessaire dans le centre-ville, progressive ouverture de nouveaux centres d’intérêt, etc.” Mais pour le conseiller municipal, “il faut du temps pour obtenir les résultats attendus, ainsi que la collaboration des districts de la ville, parfois très réticents à comprendre la dimension temporelle des changements”.
Les riverains demandent des actions urgentes
Si les associations dénoncent un véritable problème systémique du tourisme à Barcelone, ils demandent aussi une meilleure action des autorités pour réduire les nuisances : plus d’inspecteurs pour limiter les incivilités, des nettoyages des rues plus fréquents, plus de conteneurs à poubelles (notamment dans le Gòtic où, pour des raisons urbanistiques, ils sont rares), installation d’urinoirs… Manel Martínez, de l’Association d’Habitants de la Barceloneta, réclame une fermeture des plages la nuit, et un plan urgent de la mairie pour éliminer tous les logements touristiques illégaux du quartier.
Mais bien au-delà de ces actions locales, les riverains demandent surtout un changement sur le long terme. “Bien sûr, on ne peut pas changer un modèle touristique en deux ans. Mais les autorités, la mairie, les gouvernements catalan et espagnol auraient au moins pu rédiger un plan, réfléchir à comment arrêter de faire encore grandir le secteur touristique”, avance Martí depuis le Gòtic.
À ce jour, Barcelone n’est pas encore à son niveau maximum en termes d’occupation touristique. “Oh, les touristes arriveront vers la mi-mai, mais ils arriveront, croyez-moi”, avertit une habitante de la Barceloneta. “On ne voulait pas d’un tourisme si sauvage, tout ce qu’on veut, c’est qu’on nous respecte”, ajoute Lourdes López. “Je ne sais pas comment ce sera, cet été, mais ça va être horrible. Tout ce qu’on espère, c’est qu’il pleuve pour que les touristes ne viennent pas.”
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