Crise du gaz. L’Espagne, quatrième économie de la zone euro et quatorzième du monde, pourrait enfin jouer en Europe un autre rôle que celui de région touristique. Face à la crise ukrainienne, la relative indépendance énergétique espagnole pourrait convertir le pays en un fournisseur européen.
Comme nous l’écrivions hier dans ces colonnes, avec ses gazoducs de Irún (Pays basque) et de Larrau (Navarre), l’Espagne commence à envoyer son gaz à la France voisine. Pour autant, la diffusion de gaz de l’Espagne vers la France reste réduite. Ces gazoducs ne produisent annuellement 8 milliards de mètres cube par an. La consommation totale de gaz en France s’élève à 40 milliards de mètres cube chaque année. Un troisième gazoduc frontalier pourrait sortir de terre pour approvisionner la France : le « Midcat », reliant la Catalogne et la France en passant par la col du Perthus.
Si les regards européens se tournent vers l’Espagne, c’est parce qu’elle importe 33 % de ses réserves de gaz de l’Algérie. À titre de comparaison, la France n’utilise que 8 % de gaz algérien. En revanche, l’Espagne n’a besoin que de 8 % de gaz en provenance de la Russie, un chiffre qui monte à 21 % dans le cas de la France. Le gaz algérien importé par l’Espagne offre une relative alternative en cas d’embargo du président Vladimir Poutine, qui se traduirait une nouvelle hausse du prix de l’essence et de l’électricité et une inflation globale.
Gaz Espagne : liaison Catalogne-France
Pour accélérer le transit du gaz, retour en Catalogne. Avec le pipeline de gaz Midcat, il est possible d’acheminer du gaz naturel entre la Catalogne et la France. Un premier tronçon de 87 kilomètres est sorti de terre en 2012 entre les communes de Martorell (province de Barcelone) et Hostalic (province de Gérone).
La construction a été stoppée en raison du manque de rentabilité du gazoduc et suite à de graves dégâts environnementaux en Catalogne. Les tuyaux de 30 mètres de largeur du Midcat coupent des forêts protégées (notamment la Selva) , des rivières, des ruisseaux et des terres agricoles. Ces dernières, comme le « Bosc de Can Deu » ou le « Torrent de Colobrers », deviendraient incultivables en raison des fuites de gaz souterraines polluant terrains et eaux.
Photo : ejatlas.org
Si les travaux ont été abandonnés en 2019, la Commission européenne à l’époque avait déjà clairement indiqué que le projet « réduisait la dépendance de l’Union européenne sur le gaz naturel russe en créant un nouveau lien entre les domaines d’extraction de Hassi R’mel en Algérie et l’Europe ».
Aujourd’hui, les voix institutionnelles s’élèvent pour la reprise des travaux de Midcat.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, qui veut réduire de 66 % la part de gaz russe dans l’Union, s’est déplacée à Madrid pour réclamer davantages de connexions énergétiques entre l’Espagne et la France afin de relier la Péninsule ibérique et le Maghreb au réseau européen. Le Premier ministre portugais António Costa s’est exprimé le week-end dernier dans le même sens. Le chancelier allemand Olaf Scholz a évoqué à plusieurs reprises les liaisons transfrontalières avec son homologue espagnol Pedro Sánchez. Au passage, l’Allemagne voudrait transiter les énergies vertes via les tuyaux espagnols.
Photo : Midcat
La ministre de l’économie espagnole Nadia Calviño plonge le projet dans un bain de réalité : « le Midcat peut être réactivé s’il est rentable dans le futur, si on l’associe aussi au transport d’hydrogène vert [proposition allemande] et s’il bénéficie d’un financement européen. » Hors, le Midcat coûte au total 3 milliards d’euros. Il manque aujourd’hui un financement communautaire de 500 millions d’euros pour ficeler le dossier. Une fois que la Commission européenne aura donné son feu vert budgétaire, il faudra trois longues années pour achever les travaux. Sans compter une opposition des populations qui pourrait convertir le chantier en un « Notre-Dame des Landes » catalan.
