Installé à Barcelone où il a fondé Fild, site d’infos dédié au reportage international, le journaliste français Emmanuel Razavi met en lumière dans un nouvel ouvrage le travail et l’abnégation des reporters de guerre.
Il n’y a qu’à discuter un moment avec lui ou suivre les publications de ses réseaux sociaux pour deviner à quel point le sujet lui tient à coeur. Lui-même journaliste de guerre durant de nombreuses années, Emmanuel Razavi a couvert la seconde Intifada en Palestine, l’intervention américaine en Afghanistan, le conflit entre Israël et le Hezbollah en 2006 ou encore la révolution du Nil en Egypte en 2011. Cet expert du Moyen-Orient réalisait alors de grands reportages pour Arte, France 3, M6, Match et Le Figaro Magazine, entre autres. Vingt ans de reportages au coeur des conflits. Désormais établi à Barcelone, il a publié en septembre dernier Grands Reporters, Confessions au coeur des Conflits (éditions Amphora) où il recueille la parole de ces invisibles combattants de l’information. Rencontre.
Vous avez créé à Barcelone un média francophone basé sur le reportage de terrain : Fild. On vous sait très passionné pour défendre le travail des reporters, et en particulier ceux qui couvrent des zones de guerres, pourquoi avoir finalement décidé de leur donner la parole dans un livre ?
Pour être honnête, ce n’est pas du tout mon idée. Renaud Dubois, le patron des éditions Amphora, m’a demandé de le faire mais j’ai d’abord refusé. Je l’explique au début du livre, je pensais qu’il était très compliqué d’écrire sur les reporters de guerre ou en zones à risque, quand on l’a été soi-même parce que je sais que c’est très compliqué à raconter. Ils n’ont pas forcément envie de se confier. Et il y a aussi une règle dans notre profession : « ce qui se passe sur le terrain doit rester sur le terrain ».
Pourquoi avoir finalement accepté ?
Renaud a insisté à plusieurs reprises, alors j’ai appelé quelques copains qui sont dans le livre pour leur demander ce qu’ils en pensaient, et ils m’ont dit « ça peut être intéressant, c’est peut-être le moment ». Alors j’ai dit d’accord, mais à une condition : je ne parle que de journalistes que je connais, que j’ai croisé sur le terrain et dont j’apprécie le travail. Je savais qu’ils avaient des valeurs humaines très fortes et je voulais transmettre tout ça aux jeunes, leur faire comprendre qu’on ne fait pas ce métier que par goût de l’aventure mais aussi par sens.
Pourquoi était-ce « le moment » d’écrire ce livre ?
Nous sommes dans une période où le travail des journalistes est de moins en moins apprécié par le grand public. En fait, les gens ne font plus la différence entre Cyril Hanouna et un reporter qui va prendre des risques pour faire son métier. C’est aussi un livre pour ceux qui pensent que les journalistes ne font pas bien leur travail. Si, il y a des gens qui font très bien leur travail et en plus qui risquent leur peau pour le faire. Ce ne sont pas des amuseurs sur un plateau télé.
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Quel a été votre fil conducteur ?
Je voulais raconter l’histoire du grand reportage depuis le 11 septembre 2001, parce qu’il y a eu un avant et un après. Déjà parce qu’à partir de ce moment-là, on est dans l’hyper-terrorisme et les journalistes deviennent, au-delà d’une monnaie d’échange, un vecteur de communication. On commence à décapiter des civils, et on les égorge devant des caméras, ce qui ne se passait pas avant. C’est l’émergence d’Al-Qaïda, et l’utilisation de l’otage, souvent journaliste, pour traumatiser tout le monde occidental.
Et cela correspond aussi à l’arrivée du numérique et à l’accélération. Les journalistes doivent travailler sur des temps de plus en plus courts en produisant de plus en plus. Mais, à travers cela, je voulais en faire un livre sur la résilience, sur le sens et sur l’engagement.
Est-ce que ce fut difficile à écrire ?
Ça n’a pas été difficile au début car je connaissais très bien tous ces personnes. Mais les faire parler a été parfois douloureux car ils m’ont raconté des choses que j’avais moi-même vécues, donc ça m’a ramené à mon propre passé. Certains étaient au bord des larmes lors de nos interviews. Et ensuite ça a été très compliqué de l’écrire car je devais être à la hauteur de ce qu’ils m’avaient raconté.
Il y a des témoignages très durs, notamment celui de Kamal Redouani. Il travaille beaucoup sur le djihadisme, tant sur ceux qui y participent que ceux qui en sont les victimes. Et il raconte ce moment horrible: des terroristes l’emmènent et font sauter un camion avec un chauffeur à l’intérieur qui va brûler. Et ils l’obligent à filmer. C’est infiniment traumatisant de voir ça. Mais ce qui est impressionnant, c’est que quand on rencontre Kamal, il est toujours en train de sourire, toujours posé. Je me suis demandé comment ça se passait dans sa tête pour être aussi aussi calme et prendre autant de hauteur. Et c’est un peu l’idée du livre, montrer ce que ces gens arrivent à dépasser. C’est un livre sur la résilience, qui parle de gens ordinaires confrontés à l’extraordinaire. Comme je disais à mon éditeur, c’est mieux qu’un livre sur le développement personnel, parce qu’il permet de comprendre comment des personnes confrontées à la mort, confrontés au pire, qui ont failli mourir, arrivent à dépasser cela, à trouver du sens, et à continuer de faire ce métier.
Grands Reporters, Confessions au coeur des Conflits, par Emmanuel Razavi (éditions Amphora)
Disponible à Jaimes et dans toutes les bonnes librairies.