En Espagne, on tutoie facilement. Au quotidien, comme au travail, le « tu » l’emporte sur le « vous ». On explique pourquoi, et comment se mettre à la page espagnole.
Photo : Clémentine Laurent
Dans la rue, chez le banquier, dans les commerces. Pas de formalités en Espagne. Ici, on se tutoie direct. Ça évite ces moments gênants, style : “est-ce qu’on peut se tutoyer ?”, ou les mélanges des “tu” et “vous” dans une même conversation, parce qu’on se sent à l’aise avec son interlocuteur mais on veut rester courtois.
Règle n°1 : vouvoyer les personnes âgées (mais vraiment âgées)
D’abord, “il ne faut pas penser que les “tú” (tu) et “usted” (vous) espagnols représentent les mêmes rapports que le “tu” et “vous” français”, annonce Carmen Alén Garabato, professeure de sociolinguistique à l’université de Montpellier. L’unique point commun s’applique aux personnes âgées. Comme en France, on les vouvoie par forme de respect.
L’âge : la règle de base. C’est ce qui déterminera la bonne ou mauvaise interprétation en Espagne. “Une femme peut se sentir gênée si un garçon de café, par exemple, la vouvoie car « ça la vieillit », constate Carmen Alén Garabato. J’ai déjà entendu dans différentes situations : Ne me dis pas vous, je ne suis pas si âgée! (No me trates de usted que no soy tan vieja!) ». Oups.
Règle n°2 : tutoyer est un signe de confiance
Plus encore, le “vous” peut être vu comme un manque de convivialité. Les Espagnols l’utilisent parfois de façon consciente pour établir une distance. “Avec un subalterne, ou pour afficher la non appartenance à un même groupe, sans pour autant être snob. Avec une femme de ménage, un concierge…”, précise la sociolinguiste. A contrario, il s’applique aux supérieurs hiérarchiques, mais très haut placés, ou des personnalités publiques. Encore faut-il en avoir la fantaisie.
Si on veut vivre “à l’espagnole”, donc, mieux vaut passer au “tu” rapidement. Que ce soit dans les lieux publics ou au travail, il est largement employé en espagnol. Par exemple, la compagnie aérienne Vueling tutoie tous ses clients, même pendant le vol. En espagnol, c’est signe de confiance et de proximité.
Règle n°3 : l’habitude n’est plus au vouvoiement
Pourtant, il n’y a pas si longtemps encore, il était impensable de tutoyer un avocat, un professeur ou un médecin en Espagne. La généralisation du tutoiement remonte aux années 60 et s’est accélérée avec la Movida, le mouvement culturel des années 1980, né après la mort du général Franco. Originaire de Galice, Carmen Alén Garabato a connu le tournant. “Dans les années 60, mes parents, paysans, ont décidé que leurs prochains enfants les tutoieraient. En ville, ça a dû commencer plus tôt, chez les gens instruits”. L’arrivée de la démocratie et de la modernisation poursuivirent le changement.
L’exemple est parfois flagrant. « En France, lorsque je parle français avec des étudiants hispaniques, je les vouvoie mais si je leur parle en espagnol je les tutoie”, raconte la professeure espagnole. Anna Flores, coach experte en programmation neurolinguistique et communication efficace à Barcelone, ajoute : “Depuis plusieurs décennies, l’habitude n’est plus au vouvoiement comme en France, mais plutôt à l’adaptation”.
L’idée ? Créer un climat de confiance lorsque l’on entre en contact avec quelqu’un. On l’applique notamment en essayant de se mettre au même niveau que l’autre. C’est bien là que se trouve l’enjeu. Et peut-être même que l’espagnol l’a compris plus tôt que le français…
Règle n°4 : les Espagnols comprendront
Question de « feeling » donc ? Dans le langage professionnel, on parle de “calibrer” son choix selon ce que dégage l’autre personne. Son comportement, sa manière de s’habiller, de bouger. Il suffira ensuite de choisir la bonne formule pour rendre la personne en face la plus à l’aise possible.
Mais si “feeling” il n’y a pas ? Pas de panique. “Ici, en Espagne, nous recevons très bien les étrangers et cela ne fait pas grand chose de nous parler d’une manière ou d’une autre. L’idéal est d’avoir en tête que si nous souhaitons établir une distance, mieux vaut utiliser “usted” et le “tú” pour la proximité”, estime Anna Flores. Les Espagnols savent que le Français n’est pas habitué au tutoiement, en dehors du cadre familial ou amical. Bien que le modèle se soit fortement développé avec l’arrivée des start-ups.
Par précaution, on peut donc la jouer à la française en utilisant le “usted” pour rapidement demander s’il est possible de passer au “tú”. Ou bien, sauter dans le grand bain, se fondre dans la masse, et tutoyer. En plus, c’est plus facile à conjuguer.
A lire aussi : La sieste espagnole : mythe ou réalité ?