Le Tribunal suprême impose 25% de cours en espagnol dans les écoles de Catalogne. Après près de 40 ans d’immersion linguistique, la nouvelle a fait l’effet d’une bombe.
« On ne touche pas au catalan à l’école » a déclaré le président Pere Aragonès après l’annonce de la sentence. Derrière lui, la communauté éducative catalane fait bloc et refuse d’appliquer la décision du tribunal. De l’autre côté de l’axe Barcelone-Madrid, le leader du Partido Popular Pablo Casado propose d’appliquer l’article 155 de la Constitution visant à prendre le contrôle de l’exécutif régional pour le forcer à appliquer la sentence. Le gouvernement socialiste de Pedro Sanchez, lui, tente de ne pas trop s’en mêler et indique qu’il ne lui appartient pas d’intervenir, mais que la Generalitat doit se plier à la décision judiciaire.
Quelle était jusqu’ici la norme linguistique dans les écoles catalanes ?
L’actuelle loi d’éducation espagnole (ley Celaá) oblige les élèves à maîtriser le catalan et le castillan à la fin de leur scolarité obligatoire. Depuis 1983 et la Llei d’Educació de Catalunya (LEC), la Catalogne a opté pour « l’immersion linguistique« , c’est-à-dire que l’ensemble des cours sont habituellement donnés en catalan. Une manière pour les défenseurs du catalan de maintenir leur langue bien vivante mais aussi un facteur d’intégration pour les enfants originaires d’autres régions ou d’autres pays.
Avec la crispation politique générée par le mouvement indépendantiste, la loi d’immersion linguistique ne faisait toutefois plus l’unanimité depuis une dizaine d’années. Parents d’élèves et associations ont lutté sans relâche pour obtenir davantage de cours en espagnol à l’école. Mais pour le gouvernement catalan, le modèle éducatif local a prouvé son efficacité et jouit d’un grand consensus social. Seules 80 familles auraient officiellement réclamé d’avoir davantage de cours en espagnol.
Pourquoi le Tribunal impose-t-il maintenant 25% de cours en espagnol ?
C’est le Bureau de l’Avocat général de l’État, représentant le ministre de l’Education de l’époque José Ignacio Wert, qui a déposé un recours en justice en 2015. Le ministre, issu du Partido Popular et très opposé au catalanisme en général, estimait que la Catalogne n’appliquait pas la loi d’éducation du moment et notamment « le droit des élèves de recevoir l’enseignement dans les deux langues officielles ».
Le recours, examiné en première instance par le Tribunal supérieur de Justice de Catalogne, avait mené à une première décision en décembre 2020 : au moins 25% des heures de cours devaient être dispensées en espagnol chaque année. Selon les calculs du tribunal, en moyenne, 18% des heures d’enseignement se réalisaient alors en castillan dans les classes de primaire, 19% au collège, et 26% au lycée. Mais les chiffres ne reflètent pas les fortes disparités observées selon les cantons (plus de catalan dans l’arrière-pays, plus d’espagnol en banlieue de Barcelone). Cette semaine, le Tribunal suprême a confirmé la décision du tribunal catalan. Elle ne peut donc plus faire l’objet de nouveaux recours et doit être appliquée.
Pourquoi tant de polémiques pour 25% de cours en espagnol ?
C’est la première fois depuis le franquisme que la langue catalane doit reculer pour laisser plus de place au castillan. Pour les défenseurs du catalan et les catalonophones en général, c’est un peu plus de terrain perdu pour leur langue, alors que la plupart des contenus audiovisuels et numériques actuels sont en espagnol. Tous craignent que cette première sentence à l’encontre du modèle d’immersion linguistique ouvre la porte à d’autres décisions qui relègueront le catalan à une langue résiduelle. De plus, pour les écoles dispensant 100% des heures en catalan, le changement s’annonce rude.