« Barcelone est le moteur de la franc-maçonnerie en Espagne »

Bibliothèque Arus de Barcelone

Alors que les francs-maçons se font plus discrets en Espagne qu’en France, Barcelone reste un véritable centre névralgique, historiquement opposé au conservatisme de Madrid et de l’Église. Plongée dans le monde secret mais influent de la franc-maçonnerie, au cœur de la capitale catalane.

Une société secrète, mondiale et plus que centenaire, des réunions fermées, des membres influents mais très discrets… L’univers de la franc-maçonnerie fascine autant qu’il dérange, en particulier en Espagne où l’Église et les idées conservatrices sont toujours bien ancrées dans la société. Et pourtant, la Catalogne se distingue du reste : elle compte plus de la moitié des francs-maçons d’Espagne. Et l’influence française n’y est pas étrangère.

« La bourgeoisie et les intellectuels barcelonais ont toujours été très sensibles aux idées des Lumières et de l’humanisme français. Historiquement, Barcelone est le moteur de la franc-maçonnerie en Espagne », reconnaît un maître de la Grande Loge de France à Barcelone, qui souhaite rester anonyme. Car si la société,­ d’origine britannique, arrive en Espagne au début du XVIIIème siècle, elle reste très discrète car dénoncée par la monarchie et l’Église. Pour elles, la société secrète pourrait représenter un pouvoir incontrôlable qui remettrait en question leur autorité. Mais avec l’invasion napoléonienne de 1808, et plus tard la révolution de 1868 et son influence intellectuelle française, la franc-maçonnerie s’installe réellement.

Francs-maçons Barcelone CatalognePhoto : Centre de l’Union écossaise, Grande Loge de France de Barcelone.

« Alors que l’Inquisition empêchait le développement de la franc-maçonnerie en Espagne, les troupes françaises l’implantent vraiment en fondant des loges et en recrutant des membres. C’est un véritable instrument politique pour Napoléon », relève Xavi Casinos, journaliste et auteur de plusieurs ouvrages sur la franc-maçonnerie en Catalogne. Pour lui, l’influence française est indubitable : « Barcelone est la porte d’entrée de tous les courants intellectuels européens en français en Espagne. » D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si, lors de l’un des rituels maçonniques les plus répandus en Catalogne (le rite écossais ancien et accepté), on déclare : « Liberté, égalité, fraternité ».

Barcelone, plus progressiste que Madrid

Mais si les obédiences (autorités maçonniques) sont plus nombreuses en Catalogne qu’ailleurs, cela s’explique aussi par la mentalité régionale très progressiste et libre. « Barcelone a toujours été plus libérale que Madrid, elle est beaucoup moins conservatrice dans ses idées », soulève le maître franc-maçon. « La franc-maçonnerie était une façon pour les intellectuels catalans de s’exprimer librement vis-à-vis de l’Église et de la monarchie en Espagne. »

C’est l’une des raisons pour lesquelles dès la fin de la guerre civile, après une période de relative tolérance de la franc-maçonnerie, Francisco Franco cherche à la museler par tous les moyens. Le vainqueur de la guerre et désormais dictateur craint aussi l’influence maçonnique et fait démanteler les temples et détruire les archives. « On compte plus de 10 000 personnes arrêtées durant la dictature car soupçonnées de franc-maçonnerie, alors même qu’il n’y en avait qu’environ 6000 en Espagne dans les années 1930 ! C’est pourquoi beaucoup de frères s’exilent, surtout en France », explique le maître, sur base de données de la Grande Loge Symbolique Espagnole.

La franc-maçonnerie est légalisée en 1979, quatre ans après la mort du dictateur, et les obédiences renaissent en Espagne en même temps que fleurit la démocratie, en particulier à Barcelone.

Plus de la moitié des francs-maçons espagnols en Catalogne

La cité comtale est, pour ainsi dire, la capitale des francs-maçons en Espagne. « On compte entre 4000 et 4500 frères en Espagne, dont plus de la moitié concentrés en Catalogne », estime le maître de la Grande Loge de France. Les obédiences (dont chacune possède un positionnement philosophique distinct) y sont nombreuses : on trouve même une Grande Loge Féminine ou encore la Grande Loge de France, composée de nombreux francophones.

franc macon barcelonePhoto : Centre de l’Union écossaise, Grande Loge de France de Barcelone.

L’influence de la franc-maçonnerie sur la société est donc plus conséquente en Catalogne que dans le reste de la Péninsule : le maître franc-maçon et Xavi Casinos assurent que plusieurs dirigeants politiques catalans en sont membres. « En Catalogne, il y a plusieurs hommes politiques socialistes, de la gauche indépendantiste catalane (ERC) et quelques élus de droite francs-maçons, ce qui est très différent du reste de l’Espagne où les suspicions sont beaucoup plus importantes », note le journaliste et écrivain.

Car, même si le climat ambiant tend à l’ouverture, une certaine méfiance générale persiste vis-à-vis de la société secrète. « Aux États-Unis, on peut écrire que l’on est frère sur son CV sans problème, mais ici en Espagne, certains ont déjà été licenciés parce qu’on a appris qu’ils étaient francs-maçons. Ce n’est pas du tout le cas en France, par exemple », affirme le maître avec regret. « C’est pour cela qu’on essaye d’être plus transparents, de faire découvrir ce qu’est la franc-maçonnerie pour être mieux compris. » Par ailleurs, de nombreux ouvrages et sites Internet expliquent en détail l’organisation et les rituels de la franc-maçonnerie. Une société secrète, donc, mais qui s’ouvre peu à peu au grand public en Espagne.

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