Le football est le sport le plus populaire au monde, avec 4 milliards de fans, qui le considèrent comme une passion et parfois même comme une religion. Un tel succès se reflète dans le revenu total généré par les cinq premières ligues de football européennes (Angleterre, France, Allemagne, Italie et Espagne) qui a atteint, en 2020-2021, 18,1 milliards d’euros.
Toutefois, tout ce qui brille n’est pas de l’or. Cette tendance à la hausse a produit un effet inflationniste sur les salaires des joueurs professionnels qui, contrairement à leurs homologues de certains sports professionnels américains, bénéficient de l’absence de plafond salarial. Un exemple représentatif qui a récemment suscité un mélange d’admiration et d’indignation est le dernier contrat de quatre ans de Lionel Messi, qui a signé en 2017 un accord pour la somme colossale de 555 millions d’euros. Les coûts auxquels les clubs de football professionnels doivent faire face remettent donc fortement en question la soutenabilité financière du modèle économique.
Compte tenu des salaires astronomiques de certaines stars, une question revient sans cesse dans l’esprit de nombreux observateurs et fans : les joueurs de football professionnels méritent-ils vraiment ce qu’ils sont payés ?
Popularité et performance
Dans une étude de mars 2021, réalisée avec nos coauteurs Alessandro Piazza (Rice University, États-Unis), Fabrizio Castellucci (Bocconi University, Italie) et Cyrus Mohadjer (IESEG School of Management, France), nous avons cherché à apporter un nouvel éclairage sur ce sujet en explorant l’existence de décalages potentiels entre les performances des joueurs et leurs salaires générés par leur niveau de célébrité et leur statut.
Sur la base d’un ensemble de données de 471 joueurs issus des cinq principaux championnats européens de football pendant deux années consécutives (2015-2016 et 2016-2017), notre étude montre que la célébrité (mesurée via le comptage et l’enregistrement du nombre de « likes » que chaque joueur a reçus de la part des fans sur sa page officielle Facebook) et le statut (mesuré via le nombre d’apparitions dans son équipe nationale) ont un impact sur la relation entre les salaires des joueurs et leurs performances (mesurées par le score disponible sur le site Whoscored). Plus précisément, les résultats montrent que pour les joueurs affichant des performances moyennes, le fait d’être populaire (Figure 1) et d’avoir un statut élevé (Figure 2) entraîne des salaires plus élevés pour les mêmes niveaux de performance.
Cela suggère que, pour maximiser leur salaire, les joueurs peuvent essayer d’accroître l’intérêt de leur profil et leur popularité via, par exemple, les réseaux sociaux et la presse.
En effet, la popularité ne dépend pas nécessairement des performances des joueurs, mais pourrait être déterminée par leur style de vie « public », qui accroît leur visibilité. Ces conclusions sur la célébrité sont particulièrement pertinentes non pas pour les meilleurs « performers », qui peuvent toujours obtenir des niveaux élevés de rémunération et de visibilité, mais pour les joueurs plus « moyens » qui, grâce à la gestion professionnelle de leurs profils sur les réseaux sociaux (Facebook, Instagram, TikTok, etc.) pourraient obtenir une rémunération plus élevée. En outre, une plus grande visibilité de ces joueurs pourrait se traduire par des revenus plus élevés pour le club (par exemple par le biais de droits de merchandising, de publicité et de diffusion) ; pour déterminer les niveaux de salaire, les clubs prennent en considération non seulement la performance des joueurs, mais aussi leur capacité, en tant que célébrités, à générer des revenus économiques.
De plus, nos résultats montrent que le fait d’avoir un statut élevé peut « protéger » certains footballeurs en cas de baisse de leurs performances. Par exemple :
- Les joueurs à statut élevé (jouant régulièrement pour leur équipe nationale) semblent être moins exposés à la critique (par les fans et les journalistes par exemple).
- Une fois le statut acquis, il a tendance à rester stable, même en cas de baisse de performances.
Notre étude montre donc que la rémunération d’un joueur est moins déterminée par ses performances lorsqu’il joue régulièrement pour l’équipe nationale et bénéficie donc d’un statut élevé que lorsque cela n’est pas le cas.
Ce constat est particulièrement valable pour les joueurs qui, au crépuscule de leur carrière, voient décliner leurs performances ou se montrent moins motivés, et qui peuvent donc bénéficier d’un salaire plus élevé basé sur la qualité de leurs performances passées.
Des joueurs tels que Messi et Cristiano Ronaldo offrent un niveau de performance très élevé qui garantit leur niveau de salaire : s’ils sont des célébrités et ont un statut élevé, c’est parce qu’ils sont les plus performants (bien que l’on puisse s’attendre à ce que dans la dernière partie de leur carrière, leurs performances déclinant, ils se retrouvent à leur tour dans la position de ces joueurs dont le salaire est dû à leur statut plus qu’à leurs performances). Nous soutenons dans notre étude que ce n’est pas nécessairement le cas pour les joueurs moyens qui voient leurs revenus augmenter en fonction de leur notoriété (laquelle est due à leur activité sur les réseaux sociaux et à leurs sélections en équipe nationale).
Ressources et rationalité
Nos résultats éclairent le débat sur une utilisation plus rationnelle des ressources décroissantes disponibles dans l’industrie du football, une question qui est devenue d’intérêt mondial en relation avec la récente tentative ratée de 12 grands clubs de créer une Super Ligue européenne alternative. Le manque de ressources a été récemment reconnu par l’UEFA, qui a suspendu l’application du « fair-play financier » pour la saison en cours, compte tenu de l’effet de la pandémie sur les revenus des clubs professionnels. Des observateurs ont toutefois fait valoir que les dettes de nombreux clubs de football professionnels, tels que Manchester United, l’Atlético de Madrid, Galatasaray ou la Juventus, étaient à un niveau inquiétant avant même la pandémie.
Nos conclusions pourraient également s’appliquer à d’autres individus évoluant dans des contextes et secteurs exposés à une forte attention du public, comme les PDG de grandes entreprises, les réalisateurs de cinéma, les stylistes ou encore les chefs cuisiniers. La notoriété n’étant pas toujours liée aux « performances professionnelles » actuelles des acteurs, des personnalités peuvent être engagées avant tout pour l’attention et la publicité qu’elles peuvent apporter à l’organisation. Cela peut se traduire par des revenus plus élevés offerts à des individus qui n’affectent pas nécessairement directement les résultats de l’organisation par leurs performances individuelles.
Un exemple notable est ce qui s’est passé lorsque Chiara Ferragni, une entrepreneuse et influenceuse de mode, a rejoint le conseil d’administration de Tods, une entreprise de mode italienne. Le cours de l’action Tod’s a alors connu une hausse de 12 %, atteignant la valeur de 32,24 euros, la plus élevée depuis mars 2020.
Ainsi, même dans les hautes sphères du monde du sport, la question séculaire demeure : l’habit fait-il le moine ?
Par Antonio Giangreco, Full Professor in HRM & OB, IÉSEG School of Management et Barbara Slavich, Professor of Management, IÉSEG School of Management
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.