A Barcelone, depuis 15 ans, l’association Prou Soroll lutte contre les nuisances sonores de l’aéroport du Prat. Par ailleurs, comme le révéle un sondage la moitié des Français considère le bruit des transports comme la principale source de nuisances sonores. Et d’après une enquête de l’INRETS ce sont 6,6 % des Français qui se déclarent gênés par le bruit des avions.
Dans un avis datant de 2004, le Conseil supérieur d’hygiène publique de France estimait que le bruit des avions constitue un problème de santé publique, tant par la gêne qu’il induit que par ses effets sur le sommeil. Il fallait cependant disposer de davantage de données pour émettre des recommandations : telle est la raison d’être du programme de recherche Debats (Discussion sur les effets du bruit des aéronefs touchant la santé). Piloté par l’Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires, confié à l’Université Gustave Eiffel et lancé en 2009, il nous a livré de nombreux résultats, dont certains viennent tout juste d’être publiés.
Une enquête, trois approches
Mis en place aux abords de trois grands aéroports français (Paris-Charles-de-Gaulle, Lyon-Saint-Exupéry et Toulouse-Blagnac), Debats vise à mieux quantifier les effets du bruit des avions sur la santé physique et mentale des riverains. Et l’on y trouve trois volets complémentaires :
- une étude dite écologique examinant, dans des localités situées près des aéroports, les liens entre le niveau moyen d’exposition au bruit des avions et différents indicateurs de santé, à l’échelle des communes concernées ;
- une étude individuelle et longitudinale s’intéressant aux effets physiologiques et physiopathologiques du bruit des avions, en suivant pendant quatre ans un peu plus d’un millier de riverains ;
- une étude clinique, au sens d’une étude statistique d’ampleur limitée, menée auprès d’un sous-échantillon d’un peu plus d’une centaine de riverains, et caractérisant plus finement les effets du bruit des avions sur la qualité du sommeil.
Plus de décès liés aux maladies cardiovasculaires
La première de ces études dites écologique a été réalisée sur 161 communes : 108 autour de l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle, 22 aux abords de Toulouse-Blagnac et 31 dans les environs de Lyon-Saint-Exupéry. D’après ses résultats, et après prise en compte des facteurs de confusion (âge, sexe, densité de la population, pollution de l’air), une augmentation de l’exposition au bruit des avions de 10 décibels (dB(A)) est associée à un risque de mortalité plus élevé de 18 % pour l’ensemble des maladies cardiovasculaires, de 24 % pour les seules maladies cardiaques ischémiques et de 28 % pour les seuls infarctus du myocarde. Mais aucun lien significatif n’a été trouvé avec les accidents vasculaires cérébraux.
Si elles confirment les résultats d’études antérieures, ces données ne permettent pas de conclure sur un quelconque effet au niveau individuel : c’est pourquoi ont été mises en place deux autres études individuelles, l’une portant sur le suivi de riverains pendant quatre ans, l’autre s’intéressant à la qualité du sommeil d’un petit échantillon d’individus.
Un état de santé affecté
Après tirage au sort via l’annuaire téléphonique dans les grandes zones de bruit définies autour des trois aéroports, quelque 1244 riverains âgés de plus de 18 ans ont été inclus dans l’étude. Interrogés sur leur mode de vie, leur état de santé (auto-évaluation), leurs éventuels problèmes psychologiques, leur gêne due au bruit des avions, la qualité de leur sommeil ou encore leur santé cardiovasculaire, ces participants ont aussi fait l’objet de mesures de paramètres physiologiques (pression artérielle, fréquence cardiaque et concentration de cortisol salivaire). Qu’a-t-on constaté ?
Après avoir pris en compte les potentiels facteurs de confusion (c’est-à-dire des facteurs qui peuvent entraîner des erreurs sur l’intensité de l’association entre exposition et événement de santé étudié), il a été noté qu’une augmentation du niveau de bruit de 10 dB(A) est associée à :
- un risque de « dégradation de l’état de santé perçu » augmenté de 55 % chez les hommes (mais pas chez les femmes, où aucune association significative n’a été mise en évidence) ;
- une « gêne » plus importante que ne le prévoit l’ancienne courbe de référence européenne, mais plus faible qu’attendu avec celle fournie par le modèle de l’OMS et reprise par l’Union européenne en 2020. Cette gêne dépend de nombreux autres facteurs que le bruit lui-même (âge, attentes en matière de pollution atmosphérique et sonore, sensibilité au bruit, peur d’un accident d’avion, etc.) ;
- un risque de dormir moins de six heures par nuit accru de 60 %, quand celui d’être fatigué le matin au réveil est augmenté de 20 % ;
- un risque de stress chronique, qui se traduit par une diminution de la variation horaire du cortisol de 15 % et une augmentation de son niveau au coucher de 16 % – aucun effet significatif sur les concentrations de cortisol n’ayant été noté au lever ;
- un risque d’hypertension artérielle accru de 34 % chez les hommes (mais pas chez les femmes, où aucune association significative n’a été mise en évidence), modéré sans surprise par l’âge et l’IMC (indice de masse corporelle) ;
- enfin, les troubles psychiques ne sont pas induits par le bruit des avions mais par la gêne due au bruit des avions : nous avons observé que le risque de détresse psychologique est accru de 80 % chez les participants pour qui il y a une légère gêne, et multiplié par quatre chez ceux que cela dérange fortement, par rapport à ceux que cela ne dérange pas.
Des troubles du sommeil objectivés
À la fin des entretiens menés à domicile, les enquêteurs demandaient aux riverains s’ils acceptaient de participer à une seconde étude, centrée sur leur sommeil et requérant l’installation de plusieurs instruments de mesure. En complément des données recueillies dans le cadre de l’étude individuelle longitudinale, nous avons réalisé chez eux : des mesures acoustiques à l’intérieur et à l’extérieur de la chambre à coucher pendant sept jours ; des mesures actimétriques durant les sept nuits et des enregistrements du rythme cardiaque durant une nuit ; une mesure acoustique d’exposition individuelle en continu sur 24 heures.
Cette instrumentation a permis de noter, en lien avec une augmentation du niveau de bruit des avions de 10 dB(A) et/ou de dix événements de bruits d’avions :
- un risque de dormir moins de six heures par nuit (court sommeil) accru de 10 à 80 %, et de passer plus de neuf heures au lit (mécanisme d’adaptation à la privation de sommeil) augmenté de 10 à 60 % ;
- un risque d’insomnie d’endormissement (plus de trente minutes nécessaires pour sombrer dans le sommeil) accru de 10 à 30 % ;
- un risque d’insomnie de maintien de sommeil (au total plus de trente minutes d’éveils dans le temps de sommeil) augmenté de 10 à 30 % ;
- enfin, une augmentation d’amplitude de la fréquence cardiaque (de 0,34 battement par minute) lors du passage d’un avion faisant monter de 10 dB(A) le niveau de bruit.
Des conclusions renforcées
Pour l’heure, seuls les résultats des analyses des données individuelles collectées en 2013 ont fait l’objet de publications scientifiques – ceux basés sur les données recueillies en 2015 et 2017 et sur l’ensemble des données restant encore confidentiels jusqu’à leur publication dans des revues internationales. Force est de constater, toutefois, que les premières données de Debats confirment ce qui a d’ores et déjà été observé par d’autres équipes de recherche à l’étranger.
Les résultats renforcent notamment les conclusions de la plus importante étude menée à ce jour et portant sur les effets (hypertension artérielle et maladies cardiovasculaires) du bruit généré par le trafic aérien et la circulation routière à proximité de six grands aéroports européens (à Milan, Berlin, Stockholm, Londres, Amsterdam et Athènes).
Enfin, en améliorant la connaissance de la situation sanitaire française, Debats devrait permettre de répondre à la demande des riverains de grands aéroports et d’évaluer les potentiels bénéfices de mesures de réduction des nuisances sonores.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.