Photos : Aurélie Chamerois/Equinox
Nacho Alvarez est porte-parole du syndicat des Mossos d’Esquadra. Interview sur la situation actuelle en Catalogne.
Quel bilan tirez-vous des derniers jours en Catalogne ?
Il y a beaucoup de manifestations pacifiques depuis l’arrestation du rappeur Pablo Hasél et ces rassemblements sont totalement légitimes. Le problème réside dans le fait que ces rassemblements pacifiques terminent inlassablement avec des individus qui viennent « faire la fête » en cassant du flic. Mais nous différencions les manifestants de ces délinquants.
Avec par exemple l’attaque d’un commissariat à Vic ou des motos incendiées à Barcelone, la violence est-elle montée d’un cran en Catalogne par rapport aux dernières années ?
Une partie de la jeunesse a perdu le respect pour la police et a perdu le respect pour le vivre-ensemble. Il y a un manque de réponse judiciaire. Quand on interpelle un émeutier et qu’on le présente à la justice, c’est la loterie, c’est l’euro-million ! Si le juge est conservateur, il y aura une sanction sévère. S’il tombe sur un juge plus libéral, la personne qui a attaqué la police peut repartir avec une ridicule amende de 60 euros, qu’elle paiera ou pas.
Qui sont ces personnes qui participent aux émeutes depuis mercredi ?
Nous avons repéré trois types de population distinctes. Des jeunes qui ne peuvent plus avoir d’activité sociale le soir en raison des restrictions liées à la crise du Covid. Ces personnes trouvent ici un moyen de « faire la fête » en participant à des émeutes. Il y a aussi beaucoup de mineurs étrangers non accompagnés. Certains sont très violents, d’autres restent dans la foule d’une manière passive. Ils n’ont pas de parents et souvent pas d’endroits où aller alors ils restent sur place. Enfin, il y a les casseurs habituels, très organisés, qui viennent pour commettre des vols et des pillages de boutiques.
Y a-t-il eu bavure avec cette manifestante qui a perdu un œil sur la Via Augusta mardi soir ?
Il faudra déterminer si c’est un tir de LBD qui est à l’origine de l’accident. Il faut savoir que les émeutiers les plus organisés tirent des billes de fer avec des frondes en direction de la police. Il n’est pas exclu que cette jeune fille soit victime de l’un de ces tirs de manifestants. L’enquête interne le déterminera.
Si le tir provient d’un agent de police, a-t-il donc visé la tête en violation du code déontologique ?
Nous devons viser les partis basses du corps avec les LBD, c’est-à-dire les jambes. Il est tout à fait possible qu’un agent vise la partie basse, que la personne se baisse, par exemple pour ramasser un pavé, et qu’au final le projectile atteigne le visage. Ce qui n’est pas l’objectif du policier. Quand nous nous entraînons, nous visons des cibles statiques, elles ne bougent pas. Mais ce que nous faisons « en laboratoire » n’a rien à voir avec ce qu’il se passe sur le terrain où les manifestants sont ultra mobiles.
Pour investir Pere Aragonès président de la Catalogne, l’extrême-gauche indépendantiste La Cup réclame la dissolution de la brigada mòbil (NDRL : équivalent des CRS Français) et l’interdiction de l’usage des LBD. Est-ce envisageable ?
La Catalogne, selon son statut d’autonomie, détient les compétences en matière d’ordre public, ce qui impose légalement une unité anti-émeutes. Si le prochain gouvernement dissout la Brigada Mòbil, deux scénarios s’ouvrent : soit il la remplace par une nouvelle unité équivalente chargée du maintien de l’ordre; soit il ne la crée pas, et c’est l’État espagnol qui récupère la compétence et redéploie les agents anti-émeutes de la police nationale comme dans les années 90.
Concernant le LBD, c’est la même chose. Si le gouvernement retire cet outil, il devra le remplacer par un autre. Lequel ? Je ne sais pas. Nous attendons avec impatience les propositions du gouvernement, car c’est bien beau de dire que rien ne marche sans jamais proposer de solutions. Je rappelle au passage que ce n’est pas la police qui a demandé des LBD, c’est le parlement catalan qui l’a voté.
Nous sommes ouvert à tout : modifier nos protocoles d’action, le remplacement de LBD par un nouvel outil. Nous pouvons sans problèmes participer à la commission d’intérieur au parlement catalan. Que les politiques fassent des propositions.
La police évolue avec la société catalane, mais il est vrai un peu en recul. Nous essayons des choses, des fois ça marche, des fois ça rate. Mais j’insiste : que les politiques proposent des solutions plutôt que des critiques.
Comment voyez-vous les prochains jours et surtout les prochaines nuits à Barcelone ?
Nous savons que les week-ends sont toujours plus compliqués que la semaine. Il y a plus d’individus sur la voie publique en état d’ébriété ou sous l’influence de substances illicites. Donc plus agressifs contre la police.