Election Catalogne. Dimanche, en pleine pandémie, 5 millions de Catalans sont appelés aux urnes pour choisir leur nouveau ou nouvelle président(e). Une élection dans un climat singulier avec le spectre d’une abstention massive. Voici les principaux candidats du scrutin.
Pere Aragones : l’énarque indépendantiste
C’est le favori de l’élection. Pere Aragonès, 38 ans est le candidat de la gauche indépendantiste catalane (ERC). Depuis octobre et l’éviction de la présidence catalane par la justice du président Quim Torra, Aragonès occupe cette fonction par intérim. L’électeur pourrait être tenté de lui faire payer l’addition des manqués de la pandémie : restrictions souvent contradictoires et peu comprises ; manque d’aides pour les entreprises et travailleurs indépendants ; lenteurs de la campagne de vaccination. Pere Aragonès revendique son sérieux et se vante d’avoir la tête sur les épaules. Fils de la bourgeoisie de Pinedas del Mar (ses parents travaillaient dans l’hôtellerie), l’homme a un profil d’énarque et veut en faire une force. Il possède l’expérience de la direction du département de l’économie, en tant que secrétaire général en 2015, puis ministre en 2018.
Concernant la thématique indépendantiste, le candidat offre les deux cotés de la médaille. D’un côté : il gérera le dossier territorial de la Catalogne en s’asseyant autour d’une table ronde avec le gouvernement espagnol. Pour trouver une sortie de crise qui prendra la forme d’une loi amnistiant les prisonniers catalans suite à la déclaration d’indépendance d’octobre 2017. De l’autre : Aragones a le plein soutien du président d’ERC, Oriol Junqueras qui purge actuellement sa peine de prison pour la déclaration d’indépendance. Une caution face aux accusations de trahison venant de l’aile radicale indépendantiste reprochant à Aragones son flirt avec Madrid.
Salvador Illa, le sauveur démissionnaire
Incroyable destin que celui de Salvador Illa, 54 ans, candidat du Parti socialiste. L’ancien maire de la Roca, (ses parents ont été l’un des fondateurs de l’empire du textile de la Roca Village) a glissé sur sa carrière politique sans faire de vague. Sans jamais avoir travaillé, il évolue dans les arcanes du Parti socialiste depuis 1995. À la formation du gouvernement progressiste de Pedro Sánchez en janvier 2020 il est appelé à Madrid pour diriger le ministère de la Santé. Un poste à l’époque sans prétention : ce sont les régions qui détiennent l’intégralité des compétences sanitaires. Illa a obtenu un ministère pour satisfaire les quotas catalans dans l’équilibrage gouvernemental. Deux mois plus tard, l’arrivée de la pandémie et la déclenchement de l’état d’urgence transfigurèrent Salvador Illa. La ministre de la Santé devient l’un des commandants unique du pays en récupérant toutes les compétences des régions. L’inconnu et peu charismatique Illa s’afficha alors dans tous les foyers espagnols avec ses interventions télévisées pour annoncer les actions gouvernementales liées à la pandémie.
Avec l’arrivée des élections catalanes, le perpétuel candidat socialiste Miquel Iceta, à la traîne dans les sondages, jette l’éponge pour laisser sa place au ministre de la Santé. Le gouvernement espagnol qui ambitionne de récupérer la Catalogne a trouvé un nom à l’opération : « l’effet Illa ». Il sera susceptible si l’on en croit les sondages d’arriver en tête du scrutin et de chiper la présidence de la Generalitat aux indépendantistes. Mais la prudence est de mise. La démission de Salvador Illa en pleine pandémie et durant une campagne historique de vaccination pour se présenter à une élection reste un fait unique en occident. Un goût douteux qui pourrait être synonyme de sanctions dans les urnes.
Salvador Illa, comme Pere Aragones, possède un profil d’énarque et n’entend pas conduire la Catalogne à la révolution gauchiste. Une anecdote révélée par le journaliste Francesc-Marc Alvaro permet de comprendre la psychologie du personnage. En 2015, était directeur de cabinet de l’adjoint au maire de Barcelone, le socialiste Jaume Collboni, en coalition avec la gauche radicale d’Ada Colau. Lors d’un rendez-vous entre des investisseurs chinois et le cabinet de Colboni, le conseiller municipal du parti de Colau est arrivé en bermuda et claquettes. Selon Alvaro, Salvado Illa a souffert d’un choc traumatique. C’est avec cette même gauche radicale que Salvador Illa devra former une coalition s’il veut gouverner la Catalogne.
Laura Borras ou l’embuscade de Carles Puigdemont
Laura Borras, 50 ans, joue l’avenir de Carles Puigdemont et de la droite indépendantiste catalane. Le parti de Carles Puigdemont s’appelle aujourd’hui Junts Per Catalunya (ensemble pour la Catalogne). La plupart de ces cadres et élus provient du parti Convergencia Democratica de Catalunya qui dirigea la Catalogne de 1981 à 2001 avec Jordi Pujol, de 2010 à 2015 avec Artur Mas et depuis 2015 avec Carles Puigdemont et Quim Torra. C’est peu dire que Junts Per Catalunya/Convergencia n’est pas habitué à perdre les élections. Cette fois-ci, après l’échec de la déclaration d’indépendance en 2017, les modérés ont le vent en poupe. Laura Borras est outsider.
Il reste cependant une chance de victoire pour celle qui fut ministre de la Culture sous Quim Torra : la Catalogne profonde. Le système électoral offre une prime pour les territoires ruraux afin de compenser le poids politique de Barcelone et sa banlieue surpeuplée. Or, le discours identitaire et musclé de Laura Borras séduit les régions de Gérone et Lleida. Minoritaire en voix, Borras pourrait avoir plus de députés que Pere Aragones ou Salvador Illa grâce à un plébiscite à Gérone. La région reste très attachée à son enfant local : Carles Puigdemont. Officiellement, Laura Borras représente l’ancien président qui ne peut se prétendre à diriger la Catalogne en raison de son départ à Bruxelles. Mais Puigdemont est présent partout : en tête de liste, sur les bulletins de vote, dans les spots électoraux et sur les affiches.
La victoire de Laura Borras n’est pas souhaitée par Madrid. Le gouvernement espagnol y voit la poursuite de l’inflammation institutionnelle initiée par Puigdemont et Torra. Certes, Laura Borras sans le soutien de la gauche aura du mal à reproduire la feuille de route de 2017. Mais Borras créera du désordre. Elle appelle par exemple, à boycotter en Catalogne toute venue institutionnelle d’un représentant du pouvoir espagnol, que ce soit politique ou économique. Un boycott qui devrait, selon Borras, être exercé durant toute la législature par les ministres catalans, les députés et maires indépendantistes. Avec la crise économique majeure que va connaitre la Catalogne, la politique peut bien réserver des surprises. Encore plus avec Laura Borras présidente.
Parfaitement francophone, Borras a surgi de l’élite littéraire de Catalogne. Elle a été nommée par le président Mas à la tête de l’institut catalan de la littérature en 2013. Une aventure qui a mal fini pour Laura Borras qui se retrouve inculpée pour favoritisme dans l’octroi d’une subvention. Une polémique qui pourrait lui coûter la poignée de voix nécessaires pour arriver en tête d’une élection très serrée.
Jéssica Albiach : la gauche radicale aux portes du pouvoir
Jéssica Albiach, 41 ans est la candidate de Podemos et sa branche locale En comu Podem. Cette Valencienne est arrivée pour des études de journalisme en 2014 à Barcelone et fut démarchée dans le métro par une cadre de Podemos, Bea Rilova, qui l’entraîna dans la politique. 7 ans plus tard, « Jéssica Albiach c’est comme Ada Colau mais en moins connue » ricane t-on dans Polonia, les Guignols de l’info catalans sur TV3.
Inconnue du grand public, Albiach avec son petit groupe de parlementaires que lui promette les sondages pourrait se hisser sous les colonnes dorées des palais du pouvoir catalan. Podemos avec son ambivalence politique pourrait entrer dans un gouvernement aux tendances espagnolistes dirigé par le socialiste Salvador Illa. Mais aussi dans un exécutif indépendantiste sous la houlette du républicain Pere Aragones. Seule, une victoire de Laura Borras pourrait barrer l’accès au pouvoir de Jéssica Albiach.
La principale influence de Podemos dans un gouvernement se traduirait par des politiques plus féministes, un tournant écologique, mais aussi une hausse de la fiscalité.
Ignacio Garriga : la « reconquista » de Barcelone
Ignacio Garriga à 34 ans est le candidat le plus jeune de l’élection. C’est aussi le seul à faire parti d’une minorité dans une classe politique catalane blanche à 99.99 %. Cet orthodontiste se présente sous les couleurs de l’extrême-droite Vox. Le programme est assez simpliste : mettre un terme au processus indépendantiste catalan. Un résumé de l’ambiance du programme de Vox se retrouve plaqué sur son affiche de campagne. Photo martiale, guerrière avec le visage tendue du candidat Ignacio Garriga dont le nom n’apparaît pas sur l’affiche. Vox veut livrer bataille pour récupérer la Catalogne et l’Espagne. Pour ce faire Vox propose, au besoin, d’incarcérer les dirigeants indépendantistes et illégaliser les partis politiques de cette idéologie.
Par ailleurs, Garriga surfe avec le révisionnisme concernant la pandémie du Covid. Candidat à toutes les élections, Garriga a perdu la municipale de Barcelone, mais a gagné la législative et siège à Madrid en qualité de député de Barcelone. Le score de Vox, dimanche soir, pourrait faire couler de l’encre internationale. Si les sondages se confirment, c’est la première fois en Espagne, que l’extrême-droite pourrait passer devant la droite classique.
Carlos Carrizosa : l’ombre d’Ines Arrimadas
Carlos Carrizosa, 54 ans est le candidat de Ciudadanos. Carlos Carrizosa est l’ombre d’Ines Arrimadas pour deux raisons. La première réside dans le fait qu’il est tellement inconnu du grand public. De fait, Arrimadas apparaît sur les affiches électorales, dans les meetings et dans les spots électoraux. Enfin, le score de Carrizosa dimanche soir ne sera plus qu’une ombre du grand soleil de la victoire d’Arrimadas en 2017. Boosté par la peur indépendantiste, Ciudadanos avait ratissé au-delà de ses frontières naturelles. Principale force parlementaire avec 36 députés, c’etait la première fois depuis 1981, qu’un parti ouvertement en faveur de l’unité espagnole se propulsait en tête d’une élection catalane.
4 ans plus tard, le parti a implosé. Faute de colonne vertébrale idéologique, Ciudadanos a pactisé avec le social démocrate Manuel Valls à Barcelone et l’extrême-droite de Vox à Madrid. Fatiguée de son rôle stérile de chef de l’opposition au parlement catalan, Arrimadas est parti il y a 3 ans vivre à Madrid pour continuer sa carrière politique au sein de la capitale espagnole. Résultat sur les 36 députés de Ciudadanos de 2017, il devrait – sauf surprise- en rester au maximum une dizaine dimanche soir.
Alejandro Fernandez : la droite se cache pour mourir
Alejandro Fernandez, 44 ans est le candidat du Partido Popular. La droite conservatrice possède une image dure en Catalogne. Jugée responsable des violences policières autour du référendum du 1er octobre 2017 avec le gouvernement de Mariano Rajoy ; de l’activation de l’article 155 de la Constitution suspendant les institutions catalanes après la déclaration d’indépendance ; et de l’emprisonnement des responsables séparatistes. Fini donc le temps, oú le PP pouvait s’allier en Catalogne avec la droite catalane d’Artur Mas. Par ailleurs, pour les supporters de l’unité de l’Espagne, Vox paraît plus compétent que la droite pour mettre un terme définitif au projet indépendantiste. Pris entre le marteau et l’enclume, Fernandez se retrouve à la traîne dans les sondages.
De toutes évidences, le candidat tente de rallier les électeurs modérés sur son nom et de laisser les plus radicaux à Vox. Pour paraître plus sympathique, Alejandro Fernandez, reprend le slogan d’Obama sous forme humoristique « Yes we cat », et communique avec hashtags et smileys.
Dolors Sabater : la pasionaria d’extrême-gauche
Dolars Sabater, 61 ans, est la candidate de la Cup, l’extrême-gauche indépendantiste et anti-capitaliste. Née à Badalona, Sabater en deviendra la maire en 2015. Après 4 ans de gouvernance du très droitier Xavier Albiol qui avait officiellement pour référence Nicolas Sarkozy et son Karsher. Sabater a pris le contrôle d’une ville de 200.000 habitants avec une inédite alliance de la Cup, des socialistes, des indépendantistes de ERC, du parti de Carles Puigdemont et de Podemos. Le peu de convergence des participants se solda par une motion de censure contre Dolars Sabater en raison de sa participation au référendum indépendantiste de 2017. Les socialistes prirent alors le pouvoir. Qu’ils perdirent, de nouveau après une motion de censure, qui cette fois-ci redonna la victoire à Xavier Albiol un tantinet assagi.
Dolors Sabater chercha à imposer son Dallas badalonais en Catalogne au sein d’une candidature unique des gauches.Or, seule la Cup l’acceptera. L’ancienne maire deviendra candidate à la présidence de la Catalogne au nom de la formation anti-système. Mais les divergences entre la candidate et son parti sont nombreuses. Depuis le début de sa campagne, son parti l’a contredit trois fois publiquement notamment sur le sujet de soutenir ou non Laura Borras en cas de victoire. La Cup y est plutôt favorable en raison du programme indépendantiste de Borras. Sabater refuse à cause des suspicions de corruption de la candidate Puigdemontiste.
Maria Àngels Chacón : la valeur d’Artur Mas
María Àngels Chacon, 53 ans est la candidate du Parti démocrate. Ministre des entreprises, Chacon a été expulsée du gouvernement sans ménagement par Quim Torra. Son grief : avoir refusé de suivre Carles Puigdemont dans l’aspiration des cadres du Parti démocrate. Quelques maires modérés sont restés fidèles à ce parti de centre-droit dont Puigdemont fut l’un des militants. Artur Mas, fondateur du mouvement, a également résisté aux sirènes de l’homme de Waterloo. En résulte une candidature de ce qui reste de ce parti, la majorité ayant suivi Puigdemont.
Libéral, modéré le Parti démocrate propose l’indépendance de la Catalogne de manière ordonnée et sans bousculer l’économie. En bref, le programme d’Artur Mas soutient Chacon. Elle espère entrer au parlement pour jouer un rôle décisif dans la formation d’un gouvernement si l’élection est aussi serrée que le prévoit les enquêtes.