Dix mois après le début de la pandémie, le centre-ville de Barcelone reste inhabituellement calme et l’ébullition des soldes n’est pas au rendez-vous. Entre un tourisme inexistant et les nouvelles restrictions décrétées par le gouvernement catalan, les commerces se contentent de tenir bon jusqu’à l’été.
Dans sa petite boutique de chapeaux d’une ruelle du quartier gothique, Alexin Grau met de l’ordre dans sa comptabilité en attendant les clients. Au chômage partiel durant le confinement du printemps, elle n’a pu reprendre son poste qu’à mi-temps. « L’entreprise me verse la moitié de mon salaire d’avant, et l’Etat me verse 70% du reste, enfin quand ils me paient car là ils me doivent trois mois de chômage » raconte la trentenaire. Ses patrons ont décidé de fermer l’une de leurs trois boutiques du centre-ville et de mettre à temps partiel l’ensemble de leur personnel. « Heureusement que nous avions fait un très très bon été 2019, nous pouvons encore puiser sur nos réserves, mais ce ne sera pas éternel » poursuit la jeune femme qui n’en a pas perdu sa bonne humeur.
Selon les associations de commerçants catalanes, entre pandémie et décisions politiques, c’est un tiers des boutiques qui pourrait définitivement baisser le rideau à la fin de ce premier trimestre 2021. Alors que les affluences sont limitées depuis le déconfinement et que les magasins ont aussi dû se plier aux horaires de couvre-feu, le gouvernement catalan a décidé que les commerces de plus de 400 mètres carrés et centres commerciaux seraient fermés dès le 7 janvier, date de début des soldes, et pour au moins 10 jours. Les autres boutiques non essentielles peuvent uniquement ouvrir du lundi au vendredi.
« Ce sont des mesures injustes, injustifiées et disproportionnées, le commerce a prouvé qu’il était un secteur sûr et qui respectait les règles sanitaires » s’agace Roger Gaspa. Le président de la section Commerce de la puissante organisation de patrons Foment dénonce une fermeture presque totale qui ne dit pas son nom, en pleine période de soldes, « la dernière bouée de sauvetage du secteur ».
La Catalogne, région la plus stricte d’Espagne
Pour les petits commerces, l’annonce a fait l’effet d’un coup de massue. « On nous a dit ça quelques jours avant les soldes, un moment très important et très attendu où nous pouvions un peu nous rattraper, et je ne comprends vraiment pas car dans les petits magasins on contrôle facilement le respect de la capacité maximum et des mesures de prévention » se désole Alexin Grau.
De toutes les régions espagnoles, la Catalogne est la plus stricte dans les restrictions imposées aux entreprises. Ses normes, décidées par un comité d’experts (PROCICAT), changent parfois plusieurs fois par mois sans réelle transparence. Au point que plusieurs secteurs fermés par décret, comme les discothèques, les salles de sports et les casinos, ont entrepris des actions en justice contre la Generalitat.
Selon les chercheurs de l’Université Polytechnique de Catalogne qui assurent le suivi de l’épidémie pour la région, ces mesures ont prouvé leur efficacité et aident à freiner la propagation du virus. Aucun d’entre eux ne peut cependant expliquer que les chiffres de contaminations et d’hospitalisations pour Covid-19 soient similaires, voire supérieurs, à ceux de la région de Madrid qui n’a pas fermé ses commerces et restaurants, mais opté pour un simple confinement périmétrique de certains quartiers.
A Barcelone toutefois, de nombreux commerçants semblent résignés et accueillent chaque restriction comme une mauvaise nouvelle déjà attendue. « Nous comptons surtout sur le vaccin et le retour du tourisme cet été pour sauver les boutiques, il faut juste tenir bon jusque là » assure la vendeuse de chapeaux.
A quelques mètres de là, la boutique de décoration d’Antonella Castellucci est en liquidation. La jeune Argentine a décidé de profiter de cette période calme pour faire quelques travaux. Le nouveau magasin sera prêt pour le début de l’été qui marquera, elle l’espère aussi, le retour à une certaine normalité. « Bien sûr que c’est encore un coup dur, que ne pas ouvrir les samedis de soldes, c’est se priver d’une grosse partie du chiffre d’affaires, reconnait la commerçante, mais il faut aussi avoir un peu de compassion, et quand on voit ce qu’il se passe dans les services de réanimation, c’est le moment d’y mettre aussi du nôtre ».
Les mesures sont pour l’instant en vigueur jusqu’au 17 janvier mais pourraient bien être prolongées à cause de la situation épidémiologique. La décision du gouvernement catalan devrait être connue vendredi.