Espagne. Le Gouvernement étudiera la semaine prochaine la loi de réforme de la Mémoire Historique qui rendra illégale la Fondation Franco.
C’est une exception européenne qui agace : l’Espagne est le seul pays démocratique à tolérer une fondation mettant à l’honneur un dictateur. La fondation Franco a pour objectif depuis 1975 de “diffuser et promouvoir l’étude et les connaissances sur la vie, la pensée, l’héritage et le travail de Francisco Franco Bahamonde, dans sa dimension humaine, militaire et politique, ainsi que sur les accomplissements des années de son mandat de chef de l’État espagnol” selon l’article premier des statuts de l’association.
Régulièrement, les indépendantistes catalans dénoncent cette fondation comme si son poids politique était réel. Il faut rendre honneur à la vérité : le rôle politique de cette fondation est complètement insignifiant, elle n’a aucune place officielle au sein des institutions du pays. Sa seule activité est de publier sur son site web des analyses politiques commentant l’actualité.
Cependant le symbole choque : comment dans une démocratie une telle fondation existe. Une anomalie qui va prendre fin.
Il s’agit de la première réforme du nouveau calendrier législatif espagnol, bouleversé par la crise sanitaire. Lors de la conférence de presse tenue après le Conseil des Ministres mardi dernier, la vice-présidente du gouvernement, Carmen Calvo, a annoncé l’application prochaine « de nombreuses mesures » visant à reconnaître les victimes du franquisme.
Carmen Calvo a dévoilé quelques-unes de ces mesures dans un entretien accordé au journal El País, notamment « qu’aucune fondation publique, financée par des fonds publics ne pourra faire l’apologie de régimes totalitaires ou du figures dictatoriales ». Ainsi, la Fondation Francisco Franco deviendrait illégale.
Mardi 8 septembre, le chef du gouvernement, Pedro Sánchez, a par ailleurs averti Santiago Abascal, chef du parti d’extrême-droite Vox : « Nous allons interdire et rendre illégales les fondations qui soutiennent la dictature franquiste, comme la Fondation Francisco Franco. » Toutefois, cette nouvelle loi ne sera pas appliquée avant plusieurs semaines. Elle devra d’abord être étudiée par le Conseil des Ministres, mardi prochain.
Espagne : quelles sont les grandes lignes de la loi de la Mémoire Historique ?
Le projet de loi qui sera présenté mardi 15 septembre au Conseil des Ministres, remplacera la loi promulguée en 2007 par José Luis Rodríguez Zapatero. Selon le site Info Libre, le texte de la nouvelle Loi de la Mémoire Historique qui prendra le nom de mémoire démocratique mettra également un terme à la fondation régissant la Valle del Caidos.
C’était une exception en Europe, un dictateur possédait une tombe et une sépulture officielle sur l’espace public. La “Valle de los Caídos”, située en pleine sierra et dont la croix et la colline sont aussi hautes que la Tour Eiffel, était depuis novembre 1975 la dernière demeure de Francisco Franco.
Le corps de Franco a été retiré en octobre dernier par le gouvernement socialiste. Avec la nouvelle loi, l’executif de Pedro Sanchez s’en prend directement au lieu.
Le projet de la Valle de los Caídos est une oeuvre architecturale imaginée par Franco et pour Franco. Le décret gouvernemental d’érection de ce complexe mémoriel date du 1er avril, soit quelques mois après l’accession au pouvoir du général au terme de sa victoire contre les Républicains. Le décret, signé de la main de Franco, stipule: “La dimension de notre croisade, les sacrifices héroïques contenus dans la victoire et la transcendance que cette épopée a eu pour l’avenir de l’Espagne, ne peuvent être perpétués par les simples monuments avec lesquels les événements marquants de notre histoire sont habituellement commémorés dans les villes et les villages. (…) Il est nécessaire que les pierres qui s’élèvent aient la grandeur des monuments anciens, défient le temps et l’oubli et constituent un lieu de méditation et de repos dans lequel les générations futures rendront hommage à ceux qui leur ont légué une meilleure Espagne.”
L’annulation du procès de Lluis Companys
C’est une demande historique des indépendantistes catalans. L’annulation du procès du président Companys sera effective avec la loi de mémoire démocratique.
Ce président de la Catalogne a fait une proclamation de la Catalogne en 1936. La reaction de l’Espagne ne sait pas attendre et prend le contrôle de la Generalitat le lendemain même. Non organisée, non planifiée, sans soutien des syndicats, la République de Companys est morte-née. Pendant les combats, courts mais intenses, 64 personnes ont perdu la vie et 252 furent blessées.
Aussitôt le président Companys et son gouvernement sont incarcérés aux côtés d’un millier de rebelles et condamnés à une peine de 30 ans de prison. Mais avec l’arrivée du front populaire au pouvoir, Companys fut gracié et reprend le pouvoir en qualité de président de la Generalitat. L’expérience prendra fin avec la victoire du général Franco, lors de la guerre civile espagnole qui instaura une dictature et abolira de facto la Generalitat de Catalunya. Companys s’exilia depuis le col de Lli, à La Vajol pour se réfugier à La Baule-Escoublac, en Bretagne. Mais il fut retrouvé par la Gestapo en France et livré à la dictature militaire franquiste le 13 août 1940.
Jugé et condamné par un tribunal militaire, il fut, après avoir été torturé, fusillé au château de Montjuic à Barcelone le 15 octobre 1940 en criant le devenu célèbre “Per Catalunya”.
Un jugement qui va être déclaré nul 80 ans plus tard par la nouvelle loi de mémoire démocratique. Une annonce méprisée par le président Quim Torra qui a demandé jeudi soir que le Premier Ministre Pedro Sanchez et le Roi d’Espagne prononcent publiquement des excuses au peuple catalan pour l’exécution de Companys. Une demande déjà refusée par Madrid.