Cette période inédite laisse place à la réflexion. Alors que le gouvernement a annoncé un plan de déconfinement, les habitants tentent d’imaginer à quoi ressemblera leur ville suite à cette crise. Les Français de Barcelone font part de leurs envies et leurs craintes. Témoignages.
“Je souhaiterai retourner à une Barcelone plus consciente de ses actes” confie Sophie, résidente dans la banlieue proche à L’Hospitalet de Llobregat. “Je travaille dans l’aviation et je suis lucide, depuis que mon activité s’est quasi arrêtée, c’est bien mieux pour l’écologie. Il faut prendre conscience de ce qui se passe dans le monde. Je ne suis pas politicienne mais ça serait bien qu’on se réveille.” La Française ajoute qu’elle souhaite changer de secteur. Si elle avait l’idée dans un coin de sa tête, la situation fut l’élément déclencheur. Toutefois, sa Barcelone d’après serait contradictoire selon elle. « Mon envie est bien différente de ma crainte malheureusement. J’aimerai pouvoir retourner à la plage avec mes deux filles, mettre les pieds dans l’eau et entendre les vagues nous caresser les pieds. Mais je me rends bien compte que la mer n’a jamais été aussi belle depuis que plus personne n’y accède. Il faut une conscience commune, qu’on se regarde dans le miroir et qu’on ait le déclic de changer nos habitudes » affirme-t-elle.
Une vision partagée par Antoine. Travaillant dans le secteur collaboratif, le trentenaire imagine une Barcelone d’après “un peu fantasmée. Dans un monde parfait, de sévères mesures seront prises en faveur des déplacements à vélo pour l’aspect écologique, sonore et sanitaire”. Le Français considère qu’il serait essentiel d’accélérer les fermetures de rues à la circulation, de débloquer des aides à l’achat de vélo et de ne pas reporter l’interdiction des voitures polluantes dans Barcelone. Dans le même esprit, la capitale catalane pourrait être « la capitale mondiale de l’agriculture écologique en 2021, avec notamment un plus grand accès aux producteurs catalans, et concevoir des projets de grande ampleur d’agriculture bio urbaine ».
Profiter de sa vie de quartier
Pour Alicia, prof de couture, l’une des richesses de la ville repose dans les commerces de proximité. « J’ai hâte de pouvoir en profiter à nouveau ! Surtout en cette période, on réalise tout le choix que nous avons autour de chez nous. Auparavant j’habitais à San Francisco, la vie est totalement différente, tout le monde passe commande sur Amazon Prime ». Mais la Française est réaliste sur l’avenir. « Il faudra que les habitants retournent dans ces commerces pour les soutenir et les faire renaître après le confinement ».
Alicia ajoute que la ville possède un véritable savoir-faire, notamment dans le quartier de Gràcia allant des créations à base de plumes à des ateliers de céramique. « Beaucoup de personnes ont réalisé pendant ce confinement qu’elles n’avaient pas vraiment de passion en dehors de leur travail, qu’elles pouvaient vite s’ennuyer à la maison. Une fois la quarantaine terminée, ça sera le moment de profiter des ressources de Barcelone, en participant à un cours dans son quartier. C’est convivial et c’est un bon moyen de rencontrer des voisins. »
Un nouveau modèle touristique
“A quelque chose malheur est bon”. Roger vit depuis plus de trente ans à Barcelone. Arrivé par hasard par la mer, à bord de son voilier, il n’est plus jamais reparti. « J’ai déjà vécu des difficultés économiques comme celles provoquées par le coronavirus. Licencié d’une grande entreprise américaine à 50 ans. J’ai cherché un emploi en France pendant deux ans, j’essuyais des refus étant “trop vieux” alors je suis parti en mer. » À 80 ans, il a connu l’évolution de la ville, jusqu’à son paysage actuel. “En vivant à Port Vell il fallait éviter de sortir après 17h pour éviter les hordes de touristes qui reviennent de la plage. On avait un tourisme low cost, grâce aux vols à bas prix, aux trajets en covoiturage et aux appartements Airbnb. Est-ce que grâce à la crise tout cela va disparaître ? Je l’espère » confie Roger.
Selon lui, un premier pas avait été fait en ce sens. La maire Ada Colau avait montré une volonté de changement, en voulant supprimer les boîtes de nuit de Port Olímpic et du bord de mer comme le Shôko ou l’Opium, principalement fréquentées par les touristes. Roger rappelle également « que Barcelone est une ville intelligente et bien construite. Je pense sincèrement qu’elle pourrait être un modèle post-confinement pour l’Europe ».
Des Barcelonais de tout horizon s’accordent à dire qu’il s’agit du moment opportun pour la ville de changer son modèle touristique. « Une diminution notoire du tourisme pendant au moins un an, laisserait le temps à municipalité de tout réformer et de favoriser un tourisme plus respectueux des commerces locaux. Moins de tourisme de masse, destructeur de la vie locale et parfait vecteur du virus » explique Antoine.
Ada Colau a déjà déclaré fin avril que “la nouvelle normalité peut être une nouvelle opportunité”. La maire de Barcelone a annoncé que la ville a besoin de stratégies face à l’urgence climatique, au droit au logement et pour trouver un modèle touristique plus équilibré. Pour l’instant, comme d’autres habitants, Antoine sait que l’avenir reste inconnu. “L’économie est pleine d’incertitude, bien malin est celui qui pourra dire où on en sera en septembre” conclut-il.