Le médecin spécialiste dans les maladies infectieuses Juan Ambrosioni, de l’Hospital Clínic de Barcelone, fait le point sur la situation actuelle du coronavirus en Espagne.
Comment expliquer que le nombre de contagions reste élevé alors que la population est confinée depuis un mois?
A partir du moment où il y a du monde dans un lieu public, cela devient une situation à risque. Des millions de personnes sont sûrement contaminées sans le savoir car elles ne développent aucun symptôme. Il faut donc être responsable personnellement et rester chez soi au maximum. Quand les personnes sortent, la grande majorité respecte les distances de sécurité de deux mètres entre chaque individu. Seule une petite proportion de la population ne le fait pas, soit parce qu’elles manquent de solidarité, elles ne comprennent pas les enjeux ou tout simplement elles s’en moquent.
Dans une précédente interview sur Equinox, vous évoquiez un déconfinement progressif. Les mesures prises actuellement pour faire ses courses préfigurent-elles celles que l’on devra prendre dans le futur pour tout type de sortie ?
Très controversée au début de la crise, l’utilisation des masques est désormais recommandée. On a besoin de mettre un masque lorsque l’on se retrouve dans un endroit qui n’est pas à l’air libre. Les recommandations du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies vont dans ce sens. Cela doit faire partie des mesures indispensables. En revanche, il est bon de préciser que l’on ne peut pas être contaminé dans la rue en étant à plus de deux mètres de distance d’une personne. Concernant le déconfinement, plus on est exposé, plus il y a des risques de contamination. C’est difficile pour les gouvernements de faire l’équilibre entre l’économie et la santé publique, je le comprends.
Le fameux pic de contamination est passé en Espagne selon le ministère de la Santé. Cependant doit-on s’attendre à d’autres pics ?
On ne le sait pas, mais la logique voudrait qu’il y ait un autre pic si on est plus exposé face au nombre important de personnes contaminées. On espère que les gens asymptomatiques ayant déjà contracté le Covid-19 bénéficient d’une immunité qui serait une barrière de protection collective. Apparemment, en Chine peu de personnes ont été réinfectées une seconde fois, mais on ne connaît pas exactement la situation réelle de ce pays, en raison du manque de transparence de l’information. Cette supposition de l’immunité est la justification du gouvernement pour relâcher les mesures de confinement.
En cas de second pic, le personnel soignant et les hôpitaux sont-il prêts ?
Dans le cas des mesures hospitalières oui, car actuellement la situation est plus calme. Mais au niveau du personnel c’est très difficile car on travaille non-stop depuis des semaines, on est proche du burn-out. J’espère vraiment qu’il n’y aura pas une deuxième vague car je pense que le personnel soignant ne pourra pas la supporter.
Vous sentez-vous toujours soutenus par la population?
Quand on voit les réductions de la circulation des personnes, on reçoit du soutien, car les gens restent chez eux. Il y a eu des cas de discrimination du personnel sanitaire sur leur lieu de résidence de la part de certains voisins. C’est très injuste car ces personnes critiquent, demandent que l’on déménage de peur qu’on les contamine. Mais c’est nous qui les soignons si elles en ont besoin et elles acceptent de nous approcher. Mais je souligne que la plupart des gens continuent de nous soutenir.
Vous avez été récemment été détecté positif au coronavirus, comment avez-vous accueilli la nouvelle?
Je m’y attendais car j’avais les symptômes. Un premier test a été fait où je suis sorti négatif. Cependant, les symptômes persistaient, donc deux jours plus tard, j’ai refait le test et il était positif. Mais je ne suis pas surpris car je suis continuellement au contact avec des malades ayant le Covid-19. D’ailleurs concernant les tests dont nous disposons, ils ne sont pas sûrs à 100%. Je pense qu’ils ne détectent que 8 cas sur 10 .
Est-ce que vous essayez toujours de tracer les contaminations, même pour les soignants ?
Pour les personnes malades, on leur demande systématiquement s’ils vivent avec des personnes vulnérables afin de leur conseiller d’éviter de les mettre en danger. En général, la traçabilité est extrêmement compliquée car il y a probablement en Espagne des millions de personnes asymptomatiques contaminées, on ne peut donc plus les suivre. Du côté des soignants, on essaye de tracer pour éviter la contamination dans le personnel. Dans mon cas, je m’occupe uniquement de personnes atteintes du Covid-19, donc nous n’avons pas eu peur que je contamine d’autres malades. Je me déplace toujours à pied et ma copine est négative donc je sais que je l’ai contracté via des malades. Pour nous, le risque zéro n’existe pas. Actuellement nous sommes 450 professionnels contaminés.
Comment le vivez-vous personnellement?
Le Covid19 me procure une intense fatigue et des douleurs musculaires qui m’ont clouées plusieurs jours au lit. Psychologiquement ne pas être à l’hôpital pour aider les autres est difficile. La connaissance que j’ai de la maladie ne me rassure pas beaucoup, mais je sais que le plus dur est derrière moi.
Pour suivre la situation, le Dr. Juan Ambrosioni publie les informations les plus importantes sur son compte Twitter @juanambro1.