Fermés depuis mi-mars, les bars et boîtes de nuit font face à une situation inédite en Espagne. Les lieux nocturnes survivent tant bien que mal, en attendant leur réouverture. Le point sur le futur avec Ramon Mas, professionnel du secteur à Barcelone.
Président de la Fédération des Associations des Loisirs Nocturnes d’Espagne (FASYDE) et vice-président du Syndicat des boîtes de nuit de Barcelone, Ramon Mas collabore avec le ministère de la Santé pour étudier les futures mesures à mettre en place. Le Catalan est lui-même impacté, il possède le club Wolf et le bar D9 dans le quartier de Poblenou.
Comment voyez-vous l’avenir de votre profession ?
Nous ne savons pas à quoi il ressemblera. Le jour où nous ouvrirons, nous voulons ouvrir à 100%, pas seulement avec un tiers de notre capacité comme l’avait décrété le gouvernement quelques jours avant le confinement. Nous travaillons d’ores et déjà avec les autorités pour éviter ce scénario. Nous serons les derniers établissements à rouvrir, il faudra voir si ça sera en juin ou en septembre. Peut-être les bars ouvriront avant les boîtes de nuit, nous n’en avons aucune idée.
Justement, les clubs feront sûrement partie des plus grandes victimes de cette crise. Outre rouvrir en dernier, des mesures de distances sociales pourraient imposer des limites aux fêtes telles qu’on les connaissait. Le métier et le secteur de la nuit doivent-ils se réinventer ?
À la fin du confinement, les clients auront sûrement très envie de faire la fête. Lorsqu’on a pas accès à quelque chose le manque s’installe. Mais on devra être innovant pour les attirer, leur garantir la sécurité et leur proposer une musique de qualité. Les médecins vont nous aiguiller pour trouver les solutions adéquates.
Combien de temps les clubs peuvent-ils survivre à la fermeture ?
Les gérants de bars et boîtes de nuit ont négocié avec les propriétaires des lieux les prix des loyers à la baisse. Certains ont proposé de payer seulement 50% en attendant. Tous les employés sont au chômage partiel, ce qui permet aussi de réduire les frais. Toutefois, je crois que le personnel ne sera pas payé avant mai. Nous pouvons payer la sécurité sociale plus tard grâce aux mesures prises par le gouvernement. Il nous reste quelques impôts, mais nous pouvons survivre pour l’instant, je dirai jusqu’en septembre. Ça reste une période compliquée car nous avons seulement des dépenses, aucune rentrée d’argent, mais les liquidités peuvent nous aider à affronter ces prochaines semaines. Le gouvernement est obligé de continuer à nous soutenir. Il ne souhaite pas de fermeture, ni de destruction d’emploi. Dans mon cas, j’ai une cinquantaine d’employés.
Les bars et boîtes de nuit pourront-ils continuer avec une clientèle sans touristes ?
C’est incontestable, nous vivons en partie grâce aux touristes, mais aussi aux étudiants Erasmus et américains. En attendant que la situation redevienne normale, nous allons passer par des moments difficiles. Si à notre réouverture les frontières sont encore fermées ou si cette clientèle ne voyage plus, le marché devra changer et s’adapter. Les jeunes étrangers sortent en semaine, s’ils ne sont pas à Barcelone les hôtels et résidences universitaires du quartier seront vides, je n’ai aucun intérêt à ouvrir mon bar D9 les lundis et mardis.
L’avenir est en suspens, mais j’ai bon espoir. Notre secteur fonctionnait très bien avant la crise. Face à cette pandémie mondiale, nous dépendons également des compagnies aériennes et des hôtels. Tous les domaines doivent s’entraider. Il sera plus facile de travailler sur l’avenir quand nous connaîtront tous les tenants et aboutissants. Les citoyens finiront par voyager à nouveau, au moins à l’intérieur de l’Europe. Il est difficile de savoir si des festivals comme le Primavera Sound ou le Sónar se tiendront cette année, si leur public et leurs artistes internationaux ne peuvent pas venir à Barcelone.
Nous avons perdu une année touristique. Nous sommes dans l’attente des directives sanitaires, nous ne pouvons pas faire autrement. Nous collaborons avec les autorités, comme nous l’avons toujours fait, nous restons unis.
Êtes-vous confiant pour l’avenir du secteur de la nuit ?
La situation en Italie sera déterminante pour l’Espagne. Nous savons que nous serons les derniers établissements à rouvrir. Je serai content si c’est le 1er juillet, mais je penche plutôt pour septembre. La situation est grave, même la Liga (le Championnat d’Espagne de football, ndlr) a été suspendue alors qu’elle génère beaucoup d’argent.
De notre côté, nous adopterons les mesures nécessaires. S’il faut prendre la température des clients à l’entrée ou tout désinfecter, nous le ferons. Les prochaines semaines seront difficiles, j’espère que des lieux ne fermeront pas en cours de route, mais nous nous en sortirons. On remercie nos clients de respecter les mesures en restant chez eux, comme ça nous reviendrons au plus vite en donnant le meilleur de nous-même.