L’Espagne est en confinement depuis le 15 mars. Les Français et francophones de Barcelone racontent leurs joies et leurs peines de la vie en colocation. Témoignages.
Photo de une: Babette, Dimitri et Andrea
“Au début de la quarantaine j’ai eu parfois envie de balancer l’un ou l’autre par le balcon” raconte en riant Sophie. Actuellement en télétravail, la Belge de 29 ans vit aux alentours d’Arc de Triomf, avec deux étudiants, une Suédoise et un Colombien. “Les débuts ont été assez difficiles. Nous avions chacun notre vision, une personne minimisait et ne prenait pas vraiment ses précautions, c’était angoissant” confie-t-elle. Depuis, la colocation a trouvé naturellement son équilibre: “les écouteurs Bluetooth est la meilleure des inventions, ils nous permettent de nous retrouver chacun dans notre bulle sans déranger les autres.”
Pour Dimitri, travaillant dans la communication graphique et le marketing, le confinement est l’occasion de passer plus de temps avec ses colocataires, Babette et Andrea deux Hollandaises. “On se réunit beaucoup plus ensemble, en organisant des repas, des jeux de sociétés, ça nous permet de vraiment nous connaître. L’ambiance est plutôt bonne, nous arrivons à discuter ensemble de n’importe quel sujet, cela permet d’éviter des malentendus. On essaie de s’occuper comme on peut, nous avons même fait un karaoké et un bingo avec nos voisins à distance.” Côté organisation, le Français explique qu’une seule personne se rend au supermarché en bas de l’immeuble pour tout le monde. Ils se relaient également pour sortir leur chien.
De nouvelles habitudes ont été prises également chez Lucille, dans le quartier de Sants. Les trois amies ont instauré des activités le week-end. “Chacune apprend quelque chose aux autres, dans un domaine dans lequel elle excelle. Ma coloc a commencé à nous donner des cours de boxe (avoir un punching ball aide beaucoup à évacuer à la fin de la journée), mon autre coloc nous donne des cours de yoga, nous avons transformé la table de la salle à manger en table de ping-pong et nous cuisinons ensemble” raconte la Française. Pour elle, l’expérience renforcera leur lien “on se souviendra que nous étions ensemble à ce moment-là”.
Quand la coloc vire au cauchemar
Victoire Jauny habite dans le quartier de la Sagrada Familia, avec son copain catalan et un ami mexicain. Mais depuis le début du confinement d’autres colocataires se sont invités: des souris. “On dirait qu’avec la quarantaine elles s’en donnent à coeur joie, on en voit tous les jours chez nous et elles sont nombreuses dans la rue, on en a trouvé deux mortes sur le trottoir”. Cette professeur de yoga a contacté le 010, numéro d’attention aux habitants de la mairie de Barcelone, qui l’a mise en relation avec le service spécialisé pour un traitement sur la voie publique. En attendant le retour de sa propriétaire pour dératiser l’intérieur, tout le monde tente de cohabiter. “C’est très frustrant de devoir attendre pour pouvoir s’en débarrasser. Le soir nous sommes tous stressés pour aller dans la salle de bain où elles adorent se cacher” confie la jeune Française.
Originaire de Bordeaux, David a débarqué à Barcelone juste avant le début du confinement. “Je réalise mon rêve d’enfant de m’installer définitivement ici, ma mère souffre d’un cancer et elle souhaite voir son fils soit heureux avant de nous quitter”. C’est dans ces conditions que le quarantenaire emménage dans une chambre dans le quartier de Sant Antoni le dimanche 15 mars. Il paye le loyer et la caution en espèces à une femme qui sera sa colocataire, avec la certitude d’être enfin chez soi. Il commence un travail le lendemain. “Je récupère mon matériel au bureau le lundi, afin de pouvoir faire du télétravail. Je passe mes journées dans ma chambre à travailler, je sors seulement pour faire des courses. Je m’excuse même auprès de ma colocataire de ne pas être très présent dans les parties communes en expliquant que ma formation est importante”.
Mais le mercredi après-midi, elle l’accuse d’avoir le coronavirus. “Elle m’insulte de sale français, elle hurlait tellement que ma formatrice m’a demandé ce qui était en train de se passer” raconte-t-il. Étonné et sous le choc, il se rend dans un centre de santé et en ressort avec un papier certifiant qu’il a un simple mal de gorge. “Entre-temps, elle m’envoie un message en me disant que mes affaires sont dehors. Heureusement j’ai pu interpeller en larmes la police, qui a fini par accepter de monter avec moi. Les agents lui ont expliqué qu’elle n’avait pas le droit de me virer, mais voyant la situation surréaliste ils m’ont conseillé de déménager. Grâce à eux j’ai pu récupérer mon argent et l’intégralité de mes affaires”. Pour David c’est un acte « criminel ». Il a pu être hébergé en urgence chez des amis à Calella à 56 km de Barcelone et fait des visites virtuelles d’appartements.
Du côté de plaça Espanya, malgré la bonne entente, Dimitri ne cache pas “qu’on rêve de retrouver nos potes respectifs, d’aller manger dans des restaurants et faire la fête toute la nuit. On a déjà d’ailleurs commencé à organiser un barbecue géant sur notre terrasse où l’on inviterait tous nos potes, les voisins et tous ceux qui le veulent une fois la quarantaine finie !” conclut-il.