TV3, depuis le processus indépendantiste et son climax d’octobre 2017, est dans l’œil du cyclone. Les critiques voient dans le service public catalan un instrument de propagande séparatiste.
La chaîne publique catalane, créée en 1984 sous l’impulsion du président de la Generalitat le nationaliste Jordi Pujol, se trouve actuellement sous une pluie de critiques et menaces. TV3, comme Catalunya Radio, est encadrée par la corporation catalane des médias audiovisuels, un organisme public géré par le gouvernement de Catalogne. Si officiellement, TV3 ne possède pas une ligne éditoriale indépendantiste, les journaux télévisés utilisent un vocabulaire connoté. Les termes « prisonniers politiques », « conseil de la République » et autres terminologies utilisées par les partis indépendantistes sont régulièrement reprises par les journalistes dans les JT.
Les stars indépendantistes
Il est également notable que beaucoup de vedettes de la chaîne se déclarent en faveur de la séparation de la Catalogne avec l’Espagne. L’une des figures les plus symboliques dans ce domaine est probablement Toni Soler. L’humoriste, producteur et présentateur affiche ouvertement son idéologie politique en faveur de l’indépendance en général et pour le parti de la gauche républicaine (ERC) en particulier. Avec sa boîte de production Minoria Absolutá, il vend à TV3 des fictions historiques, anime tous les soirs le show comique Està Passant et livre chaque semaine Polonia, une sorte de guignols de l’info version catalane. Et ça marche, depuis plus d’une dizaine d’années, Polonia est l’une des plus fortes audiences de la chaîne et représente le programme satirique de référence en Catalogne. Comme ses programmes touchent à l’actualité politique catalane, la thématique de l’indépendance est traitée chaque soir.
La dernière grande polémique autour de Toni Soler date des émeutes qui ont suivi l’annonce du verdict dans le procès des leaders indépendantistes. Comme la grande partie de la classe politique souverainiste, Soler a repris l’argument que la violence dans les rues de Barcelone était provoquée par la police. Sous couvert de l’humour, le présentateur d‘Està Passant a longuement plaisanté sur un jeu de mots amalgamant « gossos » (chien en catalan) avec Mossos. Le gag n’a pas fait rire les syndicats de police, qui ont poussé l’animateur à présenter des excuses publiques. Toni Soler est perpétuellement dans le collimateur des partis politiques et associations en faveur de l’unité de l’Espagne. « L’humoriste officiel du régime indépendantiste » selon ses détracteurs est accusé de ne faire rire qu’au détriment des unionistes et d’avoir des têtes de Turc.
Manuel Valls est en première ligne pour avoir été traité de « gigolo » par Soler, en raison de la différence d’âge le séparant de sa nouvelle épouse milliardaire. Manuel Valls possède bien évidemment son sosie dans Polonia sous les traits de l’acteur David Marcé. Fair-play, l’ancien Premier ministre a déclaré sur Equinox qu’il se battait pour le droit à la caricature en France comme en Catalogne, avant de rappeler que finalement Toni Soler est dans le même registre que Plantu ou Cabu.
Une autre émission phare de la chaîne est le grand show d’actualité du samedi soir: FAQS, une sorte d’« On n’est pas couché » à la sauce catalane. Pour la première de son émission, la présentatrice Laura Rosel est apparue à l’écran avec un tee-shirt sur lequel apparaissait un croquis du visage de Carles Puigdemont. Le buzz anti-FAQS, anti-TV3, anti-Laura Rossel a traversé l’Ebre pour enflammer les rédactions madrilènes vouant aux gémonies le programme. Peu importe si toutes les semaines Rossel portait un tee-shirt reprenant le grand thème de l’actualité et qu’en ce mois de janvier 2018 Carles Puigdemont annonçait son retour en Catalogne. Les commentateurs n’ont voulu voir qu’un soutien de la journaliste en faveur de l’ancien président.
Quelques mois plus tard, Laura Rossel perdra son job. Ce ne sont pas les unionistes qui ont eu la peau de la présentatrice mais, selon des bruits de couloirs jamais confirmés, mais la gauche indépendantiste. Le parti ERC trouvait aussi Laura Rossel trop proche de la droite de Carles Puigdemont. En coulisses, une lutte de pouvoir entre les familles de l’indépendantisme est virulente pour tenter d’exercer une influence sur le média public. La corporation catalane des médias audiovisuels précitée est composée de membres proposés par le parlement catalan. L’organe nomme ensuite les directeurs des médias publics TV3 et Catalunya Radio.
Pour le moment, la droite proche d’Artur Mas et Carles Puigdemont possède la majorité au sein de la CCMA. Cependant, lors des négociations pour former un gouvernement, la gauche ERC a âprement bataillé avec la droite de Junts Per Catalunya au sujet de la rénovation de la CCMA. Après une longue négociation, il est convenu qu’ERC prenne le contrôle de l’organe. Pour faire bonne figure, suite à une proposition parlementaire d’ERC, le parlement a débattu la semaine dernière d’une réforme de la répartition de la CCMA. ERC prendra la tête de l’organisme comme prévu et propose au passage que l’opposition puisse y jouer un plus grand rôle. En l’espèce, les socialistes et les libéraux de Ciutadans.
Le futur de TV3
Ces deux partis veulent changer le futur de TV3. Ciutadans est le plus radical. « Il faut une loi pour garantir la neutralité des médias publics et une autre pour pouvoir fermer définitivement des chaînes déficitaires » menace le parti libéral. Inés Arrimadas, député du parti en Catalogne, n’a jamais caché son animosité envers le directeur de TV3 Vicent Sanchis. L’homme a confessé être personnellement en faveur de l’indépendance catalane. Pour autant, il garantit être un professionnel et demande à être autant respecté que ses confrères madrilènes qui dirigent des médias et sont en faveur de l’unité de l’Espagne. L’argument ne convainc pas Arrimadas. Lorsqu’elle est interviewée par Vicent Sanchis, la députée se présente à l’antenne avec une lettre de démission préalablement rédigée au nom du directeur de TV3.
Les socialistes, qui pourraient diriger l’Espagne grâce au soutien des indépendantistes d’ERC, sont plus mesurés, mais proposent une réforme en profondeur de la chaîne. « Le problème est que TV3 a changé » explique Eva Granados, porte-parole des socialistes au parlement. Elle estime que le pays a besoin de « médias libres et responsables » capables de retrouver « la crédibilité de tous les citoyens ». Les critères ne correspondent pas à TV3 et Catalunya Ràdio selon la socialiste. Elle ajoute que les médias sont devenus « dans une partie de leur programmation, des instruments d’agitation et de propagande au service d’une idée politique particulière en Catalogne ». Son parti propose de contracter par le biais d’un concours international les nouvelles têtes dirigeantes. Il faut aussi que TV3 parle un peu plus en castillan selon lui.
TV3: une audience correcte mais segmentée
TV3 réalise une audience correcte avec une moyenne de 1.429.000 spectateurs par jour. La chaîne se place cependant en troisième position derrière deux privées espagnoles: Antena 3 avec 1.555.000 personnes et Telecinco avec 1.418.000. Des chiffres à contraster avec la suprématie des chaînes privées sur les publiques un peu partout en Europe. Les médias audiovisuels privés utilisent des programmes à base de sexe, de violence et téléréalité pour faire grimper leurs audiences. Des recettes que n’utilisent pas les services publics.
Mais l’audience de TV3 est segmentée. Selon le centre de recherche catalan, 81,1% des électeurs de Carles Puigdemont regardent TV3. Seuls 4% des électeurs de Ciutadans et 11% des socialistes suivent la chaîne catalane. Dans le sens inverse, 24% des électeurs de Ciutadans regardent la chaîne publique espagnole TVE tandis que 0,5% des électeurs de Carles Puigdemont font de même.
La vague de critiques de TV3 s’inscrit dans une période, pour une raison ou une autre, où la défiance envers les médias est généralisée.