L’année 2019, sauf coup de théâtre, se terminera sans qu’un gouvernement ne soit formé en Espagne. Décryptage de cette crise politique. 

Pas de budget, pas de Premier ministre, pas de gouvernement. 2019 est une nouvelle année noire pour la politique espagnole. Le conflit catalan et l’éparpillement des votes avec une représentation parlementaire de 15 partis expliquent ce blocage. Depuis les élections du 10 novembre les gauches sont majoritaires au parlement espagnol avec 183 parlementaires sur un total de 350. Pourtant, l’entente des ces partis progressistes ne va pas de soi. En 24 heures, le parti socialiste (centre-gauche) et Podemos (gauche radicale) ont scellé un accord de gouvernement avec un bloc de 155 parlementaires. Les régionalistes basques et les divers gauche devraient sans grand problème s’ajouter à liste pour soutenir l’investiture de Pedro Sanchez dans la fonction de Premier ministre. Soit 169 parlementaires. Il manque encore une dizaine de députés pour arriver à la majorité permettant la stabilité de la prochaine législature. Les 13 parlementaires indépendantistes de la gauche catalane (ERC) sont en négociation avec les équipes socialistes depuis une quinzaine de jours pour rejoindre la majorité progressiste.

Question territoriale

Pour signer un accord, la mise en place de politiques sociales et sociétales en réformant les lois conservatrices ne posent aucun problème. Les partis de gauche espagnols comme catalans possèdent le même ADN : moins de pouvoir pour la justice et la police dans la gestion de la sécurité intérieure, plus de protection pour les salariés dans la législation du travail. En revanche la question territoriale est le casus belli. Les socialistes ne souhaitent pas proposer une solution pour la Catalogne qui sorte du cadre constitutionnel. Autrement dit ferment la porte à double tour concernant l’organisation d’un référendum officiel sur l’indépendance de la Catalogne. Concernant une amnistie pour les leaders catalans condamnés pour les faits d’octobre 2017, le Parti Socialiste n’a encore fait aucune proposition concrète.

independance de la Catalogne

Marta Vilalta

Marta Vilalta, numero 2 d’ERC, a declaré samedi dans une interview au pure player Vilaweb qu’il était nécessaire de « négocier avec l’ennemi » se référant ainsi aux socialistes.

Désir de pacte

Malgré ce vocabulaire belliqueux, la gauche indépendantiste catalane meurt d’envie de signer le pacte de gouvernement. La gauche radicale de Podemos, qui obtiendra la vice-présidence du gouvernement en cas d’accord, est le parti espagnol le plus ouvert concernant l’indépendance de la Catalogne. Le gouvernement progressiste de coalition est aussi un rempart contre l’arrivée des droites au pouvoir se traduisant par de nouvelles mesures coercitives contre la Generalitat de Catalogne.

Par ailleurs, si le gouvernement de gauche est finalement formé, ERC aura  son mot à dire pour choisir les représentants du Conseil général du pouvoir judiciaire. A une époque où les responsables indépendantistes catalans passent leur existence dans les tribunaux, posséder un poids politique dans cette institution judiciaire serait un point important pour ERC.

Risque électoral

Si le parti indépendantiste prend sont temps pour signer cet accord, c’est par peur d’imploser électoralement. Après avoir promis l’indépendance de la Catalogne en 2017, proposer en 2019 une modernisation politique de l’Espagne peut paraître fade pour les militants et électeurs de cette formation. Surtout que Carles Puigdemont, contraire à toute entente avec Madrid, peut sortir victorieux avec son parti de centre-droit lors des prochaines élections catalanes en 2020.

Car c’est ici le plus important. Plus que de vouloir jouer un rôle dans la politique nationale, ERC veut prendre le pouvoir en Catalogne l’an prochain. Pour le moment, le parti est en tête dans les sondages. Un accord insuffisant avec Madrid pourrait limiter sévèrement les chances d’ERC. D’autant plus que le calendrier politique de décembre est un champ de mines.

Calendrier diabolique

Entre vendredi prochain et Noël, la justice espagnole devrait rendre son verdict pour frapper de destitution le président catalan Quim Torra. Pour ne pas avoir retiré les rubans jaunes indépendantiste du bâtiment de la Generalitat pendant les campagnes électorales, Quim Torra devrait devenir le premier président du gouvernement de Catalogne destitué pendant l’exercice de son mandat.

La justice européenne va statuer jeudi 19 décembre sur une possible immunité parlementaire permettant à Oriol Junqueras et Carles Puigdemont de devenir députés européens. Dans ce cas de figure, l’immunité sous le bras, Carles Puigdemont pourrait circuler librement sur tout le territoire européen, Espagne incluse, sans avoir le risque de finir en prison. Quelques jours auparavant, le lundi 16 décembre c’est la justice belge qui auditionnera l’ancien président dans le cadre de la demande espagnole d’extradition. Sans oublier la grande mobilisation qui est prévue mercredi 18 décembre à l’occasion du match de football Madrid-Barcelone au Camp Nou. Des dizaines de milliers d’indépendantistes ont prévu une action de grande envergure dans le stade et la ville. Une concentration qui risque de terminer en émeutes plus ou moins importantes. Hors de question pour ERC de traverser ce parcours du combattant chargé du poids d’un accord avec les socialistes espagnols.

Éventuel gouvernement en janvier

Dans le meilleur des cas, la gauche indépendantiste propose de finaliser l’accord en janvier prochain. Une attente qui provoque des crises d’angoisse à Pedro Sanchez.

pedro sanchez pge

La droite médiatique, les barons socialistes, l’intelligentsia conservatrice, les grandes entreprises sont autant effrayés par l’arrivée de la gauche radicale de Podemos que d’une influence des indépendantistes. La pression de ces secteurs est permanente, plus le temps passe, plus le risque d’un déraillement de l’investiture va en augmentant. Ce qui laissera la place à une grande coalition droite-gauche ou une nouvelle élection législative. Deux issues que ne souhaite pas ERC. Ce qui n’empêche pas la direction du parti indépendantiste de répéter que « Pedro Sanchez ne mangera pas son touron de Noël en étant Premier ministre espagnol ».

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