Le Premier ministre socialiste par intérim Pedro Sanchez tente de former une coalition gouvernementale avec la gauche radicale de Podemos. Pour réussir son pari, il a besoin des indépendantistes catalans afin de trouver une majorité parlementaire. S’il arrive à être investi, il est possible que l’Espagne découvre un nouveau visage politique de Pedro Sánchez, l’homme étant habitué aux revirements idéologiques depuis 2016.
Manuel de résistance. C’est le titre du livre de Pedro Sánchez. Pour la première fois en Espagne, c’était au début de l’année, un Premier ministre publie un livre politique pendant son mandat. « Dans ces pages, mêlées de réflexions politiques, d’actions, de trahisons et de courage, le lecteur découvrira la face la plus inconnue du président du gouvernement » vante la maison d’édition Peninsula. Comme toutes les biographies écrites par des responsables politiques, Manuel de résistance est une ode à la gloire de son auteur. Au risque de spolier le livre pour ceux qui ne l’ont pas encore lu, à la fin de l’ouvrage on ne connait toujours pas « la face la plus inconnue du président du gouvernement ». Et pour cause, Pedro Sánchez ne possède aucune colonne vertébrale idéologique. « Chaque nuit passée à la Moncloa est une victoire » se laissait aller un proche collaborateur du Premier ministre en 2018. Car s’il n’a pas de colonne vertébrale, Sánchez n’a pas non plus de racines pour rester au pouvoir. Habitué aux résultats électoraux médiocres, il est fondamentalement fragile, sans majorité stable, toujours sur un siège éjectable.
Prise du parti socialiste
Après la crise économique, l’équipe gouvernementale socialiste de José Luis Zapatero est laminée. Dernier survivant du gouvernement, l’ancien vice-président Alfredo Rubalcaba jette l’éponge de son poste de secrétaire général du parti socialiste (PSOE ) en 2014. La militance doit choisir son successeur et il s’appellera Pedro Sánchez. Le grand public espagnol apprend à connaitre le nouveau chef du mouvement socialiste, mais refusera de voter pour lui. Lors des législatives de décembre 2015, il obtient le pire score du parti socialiste avec 89 sièges. Néanmoins, Sánchez tente de se faire investir Premier ministre lors d’un débat parlementaire. Il opte pour un profil centriste et signe un accord avec les libéraux de droite de Ciudadanos.
Mais aucun autre mouvement ne se joindra à l’aventure et de nouvelles élections législatives sont organisées en juillet 2015. Nouvelle contre-performance socialiste avec seulement 84 députés, le pire score du parti est de nouveau battu. Le conservateur Mariano Rajoy, lui, améliore son résultat et se profile comme Premier ministre avec une majorité relative. Las, le résistant Sánchez propose de former un gouvernement alternatif avec la gauche radicale de Podemos et les indépendantistes catalans. La vieille garde du parti socialiste s’oppose violemment. Hors de question de partager des parcelles de pouvoir avec Podemos et de fricoter avec les partis catalans qui préparent leur référendum d’indépendance illégal. Pedro Sánchez est alors quasiment expulsé manu militari du parti par la vieille garde réunie autour de l’ancien Premier ministre Felipe González. Loin de l’alliance avec Podemos, la direction provisoire du PSOE permet alors l’investiture de Mariano Rajoy en septembre 2016.
Sánchez, esseulé, entame une traversée du désert, qui prendra la forme d’un tour d’Espagne avec sa Peugeot 407, à la rencontre des militants. Et ça marche. Le 21 mai 2017, avec une ligne très à gauche, il gagne de nouveau le vote interne au parti socialiste en battant sa rivale centriste qui était soutenue par toute l’intelligentsia du mouvement. Pedro Sánchez redevient secrétaire général des socialistes.
Premier ministre
Une affaire de corruption entâchant Mariano Rajoy lui coûte sa destitution et permet simultanément à Pedro Sánchez de devenir Premier ministre en juillet 2018. Sans passer par les urnes, grâce à une motion de censure votée par Podemos et les indépendantistes catalans. Cependant, il n’y aura que des ministres socialistes au gouvernement, pas de membres de Podemos.
Un poste que Sánchez ne conservera pas longtemps. Refusant de dialoguer avec les partis indépendantistes au sujet de l’organisation d’un référendum officiel d’autodétermination, ces derniers retireront leur appui et conduiront l’Espagne à sa troisième législative successive en avril 2019. Cette fois-ci, le socialiste réalise un score honorable avec 123 parlementaires, mais n’a toujours pas de majorité pour gouverner. Podemos propose une coalition, avec l’entrée de ministres au gouvernement. Sánchez opposera un veto au chef de Podemos, Pablo Iglesias qui veut la vice-présidence.
Pedro Sánchez, véritable Fantomas de la politique, reprend un visage centriste pour accabler avec virulence la gauche radicale. Devant le parlement, le chef du gouvernement par interim dira, littéralement, que Pablo Iglesias et ses amis de Podemos sont des incompétents, inaptes à devenir ministres. Pedro Sánchez ira jusqu’à expliquer lors d’une interview télévisée qu’avoir des membres de Podemos au gouvernement « provoquerait une telle inquiétude qu’il ne pourrait plus dormir la nuit, comme 95% des Espagnols » selon son propre calcul. Faute d’accord PSOE-Podemos, une quatrième élection législative est organisé le 10 novembre dernier.
Virage à droite
Lors de la campagne, en pleine insurrection dans les rues de Barcelone, Pedro Sánchez ne présente plus un visage centriste mais prend les traits de la droite dure.
Pendant toute la campagne, le candidat menace d’appliquer l’état d’exception en Catalogne et ira jusqu’à affirmer pendant le débat télévisé entre candidats qu’il fera extrader de force Carles Puigdemont depuis son exil bruxellois pour le faire incarcérer. Pour avoir violé le principe de séparation des pouvoirs, il devra présenter des excuses et mettra sa déclaration sur le dos de la fatigue. Une fois de plus, le scrutin tourne mal. Pedro Sánchez, avec son discours à la limite de la catalanophobie dans une Espagne traumatisée par les émeutes barcelonaises, pensait dépasser les 140 parlementaires. Il finit avec 120 sièges.
Retour à gauche
Alors que l’on pensait que le socialiste, après son ton martial contre la Catalogne, allait proposer au lendemain des élections une alliance avec la droite, il refait un virage à 180 degrés. En signant un pacte avec Podemos. Cette fois-ci la gauche radicale aura quatre ou cinq ministères et Pablo Iglesias sera vice-président. Pour ne pas se faire court-circuiter par la vieille garde de son parti, la maison royale et les grandes entreprises, Sánchez et Iglesias ont scellé l’accord en 24 heures et dans le plus grand des secrets.
Pour le moment, le pacte est stérile, tant qu’il n’est pas fécondé par les 13 parlementaires indépendantistes de la gauche républicaine catalane, numériquement indispensables pour valider le gouvernement devant le parlement. A l’heure actuelle, les indépendantistes, dont les dirigeants sont en prison, et après le bashing anti-catalan de la campagne, sont plutôt réticents à avaliser l’alliance PSOE-Podemos. Les pourparlers devront inclure selon Barcelone la question du droit à l’autodétermination de la Catalogne et le dossier de l’amnistie des prisonniers catalans. L’occasion pour Pedro Sánchez de préparer un nouveau faciès politique. La résistance continue.
Lire aussi : La gauche indépendantiste catalane doit-elle se sacrifier?