La gauche républicaine indépendantiste possède la clé pour investir le prochain gouvernement socialiste espagnol. Les indépendantistes de gauche ne sont pas fermés à l’alliance, mais le prix politique à payer peut coûter très cher et ne rien rapporter au parti d’Oriol Junqueras. Décryptage.
Suite aux résultats des dernières élections législatives espagnoles du 10 novembre, la formation d’une majorité progressiste au niveau national nécessite l’aval d’Esquerra Republicana de Catalunya (ERC), les indépendantistes de gauche. Un mouvement dont le président Oriol Junqueras est en prison pour avoir fomenté la sécession catalane. Dans le très divisé parlement espagnol, la somme des 155 parlementaires socialistes et de Podemos ne suffit pas à dégager une majorité. Les 13 députés d’ERC devront, au minimum, s’abstenir lors du vote de confiance octroyant les clés de la nation au socialiste Pedro Sanchez.
Post déclaration indépendance
En 2017, ERC a amplement participé à la déclaration d’indépendance. Deux ans plus tard, avec ses principaux dirigeants incarcérés ou en exil, soutenir la formation d’un gouvernement socialiste opposé au projet indépendantiste n’est pas chose aisée pour le parti d’Oriol Junqueras. Pourtant le « Junquerisme » est synonyme d’ouverture. 48 heures après la déclaration d’indépendance le chef de la gauche républicaine annonçait « de nouvelles décisions seront prises et difficiles à comprendre pour les indépendantistes ». En l’espèce après une chevauchée unilatérale avec les radicaux de Carles Puigdemont. Junqueras imaginait en Catalogne un grand gouvernement de gauche avec son parti, les socialistes et Podemos.
En décembre 2017, alors que la Catalogne est sous la tutelle de Madrid après avoir déclaré la sécession, Oriol Junqueras, depuis la prison, mène une campagne modérée. Avec une ligne de fond : les mesures de politiques sociales vont de pair avec l’indépendance catalane. Le résultat électoral a démontré que la moitié de l’électorat souverainiste catalan ne suivait pas la nouvelle modération d’ERC. La liste indépendantiste légèrement arrivée en tête le 21 décembre fut celle de Carles Puigdemont. Une prime donnée aux slogans les plus musclés. ERC a dû cacher sous le tapis son envie de pactiser avec les forces de gauche non indépendantistes et former une coalition gouvernementale avec le parti de Carles Puigdemont. Pour autant, la gauche républicaine a gardé son ton conciliateur, incarné par le très BCBG Pere Aragonès, vice-président du gouvernement catalan.
Un positionnement synonyme d’une envolée électorale d’ERC lors des différentes élections qui ont rythmé la vie politique des deux dernières années. ERC est arrivée en tête lors des deux dernières élections législatives en Catalogne ainsi qu’aux municipales de Barcelone. Pourquoi dès lors, est-ce si difficile pour ERC de s’allier avec les socialistes et Podemos?
Premièrement, parce que même si le parti de Carles Puigdemont a été devancé par ERC lors des scrutins récents, la figure de l’ancien président reste très importante au sein du monde indépendantiste. Puigdemont est totalement opposé à toute entente avec Madrid et penche pour la confrontation permanente. Un positionnement du « président légitime » qui donne des complexes politiques à la gauche d’Oriol Junqueras. Pour accentuer la dynamique, une pléiade d’entités et de personnalités indépendantistes intiment l’ordre à ERC de ne pas se compromettre dans une alliance avec le leader socialiste espagnol. La présidente de l’association séparatiste ANC Elisenda Paluzie, l’ancien candidat à la mairie de Barcelone Jordi Graupera, l’éditorialiste Vicent Partal, les radicaux de la Cup mettent depuis une dizaine de jours la pression maximale sur le parti d’Oriol Junqueras pour éviter à tout prix un accord avec Madrid. Si le poids dans les urnes de cette sphère indépendantiste est extrêmement léger, son influence sur les réseaux sociaux et dans les dîners en ville est surdimensionnée. Et l’on sait que depuis octobre 2017, les humeurs du « marais indépendantiste » conditionnent outre mesure les décisions prises par les responsables politiques.
Perdre la Generalitat
Une alliance avec Madrid pourrait se convertir pour ERC par une campagne de bashing se concluant au final par un recul électoral lors des prochaines élections catalanes de 2020 où la présidence de la Generalitat sera en jeu. L’aspirant Pere Aragonès, symbole du renoncement face à Madrid, pourrait se voir doubler par une éventuelle nouvelle candidature de Carles Puigdemont. Un récit onirique de l’indépendantisme porté par l’ancien président face à un pragmatisme moins chevaleresque d’ERC, peut donner un résultat surprenant dans les urnes. Un sacrifice électoral qui est demandé par certains secteurs qui souhaitent depuis longtemps l’arrivée de Podemos au pouvoir. Samedi dans une tribune pour le journal La Vanguardia, Jordi Evolé, présentateur et producteur télévisé très influent dans l’univers de la gauche radicale, demandait à ERC de permettre la formation d’un gouvernement progressiste en Espagne « au nom du courage politique même face au risque de perdre les prochaines élections ».
Le climat nuageux de Madrid ne facilite pas un atterrissage en douceur de la gauche républicaine. La campagne socialiste de Pedro Sanchez s’est déroulée pendant que les indépendantistes brûlaient les rues de Barcelone suite au verdict du procès du référendum interdit de 2017.
La tournure des événements, la pression des médias espagnols et de la droite ont obligé Pedro Sanchez à prendre un accent martial, loin de l’image d’Épinal du socialisme. Des propos durs contre l’indépendantisme qui ont été reçus de l’autre coté de l’Ebre comme un nouveau cas de catalanophobie venant de Madrid. Un discours qu’assume encore partiellement aujourd’hui Pedro Sanchez pour calmer les barons de son parti, les grandes entreprises et les milieux conservateurs de Madrid doublement horrifiés par l’alliance avec Podemos et les indépendantistes.
Négociations
Pour ne pas être taxée de traître par son propre camp, ERC a mis la barre assez haute dans les négociations avec les socialistes. Pere Aragonès demande une table ronde entre les gouvernements catalan et espagnol pour dialoguer de la question du droit à l’autodétermination de la Catalogne. Sur la table, ERC pose également le dossier de l’amnistie des prisonniers catalans et surtout veut que les propositions de Pedro Sanchez comportent une date afin de ne pas être relégués aux calendes grecques.
La possibilité d’une nouvelle élection législative plane si aucun accord n’est trouvé. Un extrême qu’aujourd’hui tout le monde rejette à Madrid comme à Barcelone. La position d’ERC est peu enviable. Quasiment rien à gagner, beaucoup à perdre, le pari d’Oriol Junqueras est risqué, si ce n’est sacrificiel.