Ils étaient encore enfants lors des premières grandes manifestations indépendantistes, tout juste adolescents lors du référendum interdit de 2017. Depuis le 14 octobre, lycéens et étudiants multiplient les mobilisations et ont pris la tête de la protestation permanente en Catalogne. Rencontre.
Plaça Universitat, dix heures le vendredi 18 octobre, jour de grève générale. La manifestation étudiante ne commence que dans deux heures. Pourtant Sofia, 18 ans, porte-parole du syndicat estudiants, une organisation étudiante indépendantiste est déjà là. Avec ses camarades, elle s’affaire à terminer la banderole de tête de cortège. Très concentrée, elle court à droite et à gauche pour vérifier que tout est prêt. Le syndicat est à l’origine de la mobilisation du jour, et la jeune fille semble un peu tendue. Entre deux réglages du porte-voix, l’étudiante en double licence droit et sciences politiques explique : “cela fait environ trois ans que je suis indépendantiste. J’ai commencé à m’intéresser à la politique à la fin du collège. Même si mes parents ne sont pas du tout indépendantistes j’ai toujours trouvé injuste que Madrid nous impose des choses que la majorité du peuple catalan ne veut pas”. Pour elle, faire partie d’un syndicat est essentiel : ”c’est important de politiser l’action car souvent les mobilisations étudiantes ne sont pas prises au sérieux, pourtant notre voix compte, ce sont nous les jeunes qui allons assister au futur de la Catalogne.”
Autour d’elle, la place commence à se remplir. Des petits groupes jouent aux cartes en attendant le début de la manifestation. Parmi tous les jeunes assis, trois silhouettes se détachent du groupe. Jana et Julia, quinze ans, peaufinent le maquillage sur leurs joues avec le ruban jaune, symbole de la demande de remise en liberté des prisonniers catalans, tandis qu’à leurs côtés Sara termine sa pancarte mêlant revendication féministe et indépendantiste : “moins de violences, plus d’orgasmes”.
Toutes les trois ont revêtu le drapeau catalan sur leur dos et expliquent être indépendantistes depuis “toute leur vie”. Depuis lundi, elles enchaînent les allers-retours en train de Terrassa, leur ville d’origine située à trente kilomètres de Barcelone.
Les trois jeunes filles attendent avec impatience le début de la manifestation. Sara sort son téléphone pour commencer, comme à son habitude, un live instagram. Une façon selon elle “de mettre en avant son engagement politique tout en informant ses abonnés”. Au total, les vidéos en direct de la lycéenne sont régulièrement suivies par près de trois cent personnes.
Les trois amies sont loin d’être intimidées par leur jeune âge et dès le début de la marche se précipitent en tête de cortège et reprennent avec entrain les slogans lancés par Sofia la porte-parole du syndicat estudiants .
“Je ne me sens pas espagnole”
Entre deux chansons, Julia raconte : “Mes parents sont aussi indépendantistes donc je suis soutenue à la maison. Même si j’ai toujours voulu l’indépendance de la Catalogne, je me souviens que tout a changé en octobre 2017 avec les répressions liées à l’organisation du référendum. J’ai ressenti tellement d’injustice et de colère au fond de moi, je me suis dis que j’allais lutter toute ma vie pour l’indépendance car je ne me sens pas espagnole”.
Au gré des chansons et slogans qu’elles scandent en cœur, les lycéennes semblent soudées et se connaître depuis toujours. Pourtant cela ne fait que cinq jours. “ Nous nous sommes rencontrées à la première manifestation de lundi, et puisque nous venons toutes les trois de Terrassa, nous avons décidé de venir ensemble tous les jours à Barcelone. Nous nous ressemblons beaucoup et militons pour toutes les choses qui nous tiennent à cœur : le féminisme, l’écologie, et bien évidemment l’indépendance de la Catalogne. Nous nous soutenons parce que quelques élèves dans nos classes ne comprennent pas notre engagement pour l’indépendantisme et se moquent de nous” explique Jana.
Lorsque la foule arrive à proximité d’un groupe des Mossos d’Esquadra, les insultes retentissent. “Nous sommes des étudiants, pas des criminels” martèlent les trois militantes en cœur avec la foule. Au même instant, Jana se met un peu en retrait, “j’ai peur de la police” explique t-elle avant d’ajouter en s’écartant de la foule : “ ils ont été tellement violents ces derniers jours, et utilisent des armes qui ne sont plus légales comme les flash-balls. Ce n’est pas normal, la police devrait nous protéger, pas nous blesser”.
Sofia, la syndicaliste étudiante, essaie quant à elle de faire avancer les manifestants et d’éviter qu’ils restent au niveau de la police : “on souhaite manifester pacifiquement donc il faut éviter que certains groupes s’en prennent à la police sinon cela peut vite dégénérer.”
Au sujet des violences et émeutes qui sévissent ces derniers jours à Barcelone et font la une des journaux, Jana affirme : “Je pense que les personnes violentes ce ne sont pas les vrais indépendantistes. Il y a beaucoup de confusion dans les médias entre les personnes d’extrême droite, les indépendantistes et les personnes qui sont là pour semer le chaos. Dans tous les cas, le mouvement indépendantiste est pacifique. Et les gens sont plus choqués par la casse urbaine que par la violence policière”.
Concernant le futur, la jeune femme se veut lucide :” C’est quasiment impossible que Madrid recule concernant la sentence, le gouvernement tient à sa crédibilité. Mais je pense que si notre génération continue de se battre, il y a des chances pour que la Catalogne obtienne son indépendance.” Julia, Jana et Sara ne comptent pas s’arrêter là et sont motivées à descendre dans la rue “tant qu’il le faudra”. Pour le moment, elles ont décidé d’aller rejoindre leurs parents pour manifester à leurs côtés.