Depuis lundi, Barcelone et la Catalogne sont traversées par une vague d’émeutes inédites depuis des décennies. Tout est parti du verdict du procès des leaders indépendantistes. Retour sur les origines du conflit Espagne-Catalogne.
Le Tribunal Suprême, la haute cour de l’État espagnol, a prononcé un verdict sévère dans l’affaire politique du processus d’indépendance de la Catalogne. L’ancien vice-président Oriol Junqueras, les ministres du gouvernement Puigdemont, l’ex-présidente du parlement catalan Carme Forcadell et deux leaders associatifs sont condamnés à des peines allant de 9 à 13 ans de prison pour leur rôle dans l’organisation du référendum d’auto-détermination non autorisé par Madrid en octobre 2017 et tout le processus politique qui en a découlé.
8 ans de désamour
Depuis 2011 et le rejet par le Tribunal constitutionnel d’un nouveau texte renforçant l’autonomie de la Catalogne, reconnaissant son statut de nation et lui conférant des avantages fiscaux, le gouvernement catalan tente de se séparer de l’Espagne, encouragé par des manifestations populaires sans cesse plus massives.
Le président catalan Artur Mas mène une politique de plus en plus indépendantiste. Vieux routard de la politique, au profil technocratique, Mas se convertit en messie de la cause indépendantiste. Certains diront par calcul politique pour se maintenir au pouvoir en faisant oublier les affaires de corruption frappant son parti Convergencia et tourner la page des politiques de rigueur mises en place au début de son mandat et déclenchant le mouvement des Indignés.
D’autres diront que le pragmatique Artur Mas a évolué, comme le reste de la population catalane, outré par l’annulation du statut d’autonomie, et qu’il est devenu indépendantiste. Le 9 novembre 2014 a lieu en Catalogne une grande consultation populaire ayant pour question “souhaitez-vous que la Catalogne devienne un état indépendant ?” Plus de deux millions de Catalans participeront, et le oui gagnera largement à plus de 80%, mais la consultation restera symbolique et sans effet politique.
La tension espagnole et l’excitation catalane ne cesseront toutefois pas de monter pendant plusieurs années, durant lesquelles la Generalitat (le gouvernement catalan) n’a fait que réclamer à Madrid l’organisation d’un référendum légal et reconnu portant sur l’indépendance de la Catalogne. A chaque campagne électorale, les partis souverainistes annoncent que la déconnexion avec l’Espagne est au coin de la rue.
Le référendum interdit du 1er octobre 2017
Le climax de ce conflit s’est produit à l’automne 2017. Face au refus de Madrid d’organiser une consultation d’autodétermination, début septembre de cette année, la majorité parlementaire indépendantiste passe deux lois: celle encadrant l’organisation d’un référendum non autorisé par l’Espagne le 1er octobre 2017 et un texte prévoyant la séparation de l’Espagne en cas de victoire du oui. Des textes législatifs immédiatement invalidés par le Tribunal constitutionnel espagnol.
Peu importe, le gouvernement Puigdemont continua les préparatifs du référendum. 6000 policiers espagnols débarqués à Barcelone sont partis à la chasse aux urnes, bulletins de vote et cartes électorales. Malgré une pression extraordinaire, la Generalitat a réussi à organiser son référendum le 1er octobre 2017. En plein cœur de l’Europe du XXIe siècle, une journée électorale s’est déroulée avec du sang dans les urnes. Les policiers espagnols ont frappé, bousculé, chargé et gazé une foule de votants majoritairement composée de personnes âgées et de familles. Bien sûr, le oui a gagné avec le score soviétique de 90.18 %, une valeur légale nulle et sans reconnaissance par aucune instance internationale sérieuse.
Comment dès lors, expliquer qu’il a fallu envoyer 6.000 agents de police espagnole en tenue anti-émeutes pour stopper un vote fantaisiste? La réponse du gouvernement et du parquet espagnol sera sommaire et simpliste: si le vote n’avait pas été organisé par la Generalitat il n’y aurait eu ni police ni violence. Finalement, au terme de deux ans d’enquête, de procédure et de procès, la justice espagnole a décidé lundi de condamner les dirigeants catalans responsables de l’organisation de ce référendum à des peines allant de 9 à 13 de prison. Un verdict très sévère selon les indépendantistes qui y voient une vengeance et une tentative d’intimidation, et manifestent sans trêve depuis lundi.
L’impasse
Aujourd’hui le divorce est entamé entre l’Espagne et une partie de la Catalogne. L’indépendantisme représente 48% du corps électoral auquel l’on peut ajouter 8% des électeurs de Podemos, qui sont favorables au moins à une réforme constitutionnelle et à l’organisation d’un référendum légal. Le futur à court et moyen terme est compliqué.
Les indépendantistes veulent que l’Espagne convoque un référendum d’auto-détermination. Il y aura des élections législatives espagnoles le 10 novembre. Que le vainqueur soit la droite ou la gauche, la réponse au référendum sera un non ferme. L’écrasante majorité des Espagnols y est opposée. Si les socialistes restent au pouvoir, la possibilité d’une grâce et d’une libération des leaders catalans incarcérés seront sur la table. Une option compliquée qui constituerait à reconnaître que les indépendantistes sont innocents de tout délit et donc ridiculiser le parquet et les juges espagnols, tout puissant au sein de l’intelligentsia madrilène.
A Barcelone, le tableau n’est pas moins sombre. La gestion des émeutes de la part de la Generalitat est dramatique. Le président Quim Torra ne condamne pas expressément les violences et préfère se réfugier dans la théorie du complot des infiltrés espagnols provoquant des heurs. La droite et la gauche indépendantiste qui gouvernent la Catalogne en coalition sont dans un climat de guerre civile politique. La gauche (ERC) tente de forcer une convocation d’élections catalanes anticipées pour se débarrasser de Quim Torra, Carles Puigdemont et leurs amis. Seul le président Torra a la possibilité de dissoudre le parlement pour convoquer des élections. Devant le fiasco électoral qui attend son parti Junts Per Catalunya, pour le moment il s’y refuse. La crise, dans la rue et les institutions, est loin d’être résolue.