Fatima Ouassak, politologue, féministe et antiraciste était à Barcelone pour le festival Cine Migrante. Rencontre.
A l’occasion du festival CineMigrante qui s’est tenu du 1er au 6 octobre dans le quartier Gòtic,, Fatima Ouassak politologue et consultante en politiques publiques, a été invitée à une table ronde. Au programme: le racisme à l’école. La militante est à l’origine du premier syndicat de parents des quartiers populaires: Front de Mères. Elle préside également le réseau Classe/Genre/Race qui lutte contre les discriminations subies par les femmes issues de l’immigration postcoloniale. A quelques heures de sa table ronde, Fatima Ouassak nous a expliqué son parcours et sa vision du féminisme en France et en Espagne. Avec toujours la même volonté: agir localement et en s’adaptant aux spécificités de chaque territoire.
Comment-vous est venue l’idée de créer le syndicat Front de Mères ?
Lorsque je suis devenue mère, ma façon de militer a changé. J’ai commencé à avoir peur pour mes enfants. Tout a commencé en 2016, lorsque j’ai inscrit ma fille en maternelle à Bagnolet. Je me suis rendue compte qu’il n’y avait pas d’alternative végétarienne à la cantine, mais seulement un plat avec du porc et un autre sans. J’ai contacté la FCPE (syndicat de parents d’élèves) mais ils n’ont pas pris position pour me soutenir. Pour certains, c’était perçu comme une lutte pour le halal à l’école, alors qu’il s’agissait de santé publique. C’était difficile de militer sur ces questions puisque je confiais mes enfants à des personnes avec qui j’avais été confrontation.
Avec d’autres parents, nous avons mis en place un questionnaire que nous avons distribué à la sortie de l’école afin de recueillir l’avis des familles sur cette question. 96% d’entre elles étaient favorables à une alternative végétarienne. Pour l’instant, nous avons réussi à mettre en place un repas végétarien par semaine. A Bagnolet, nous sommes vingt mamans à Front de Mères et il y a désormais plusieurs antennes locales.
N’est-ce pas contraire aux idées féministes de renvoyer les femmes à leur statut de mère ?
Je comprends cette critique et le fait qu’il y ait un risque de ramener les femmes à leur rôle de mère, mais là ce n’est pas le cas. Au contraire, Front de Mères c’est une perspective féministe, on récupère notre pouvoir de mère que l’Etat nous a confisqué. Au début, ce n’était pas voulu qu’il y ait une très grande majorité de mères dans le syndicat. Mais lorsqu’on est sur le terrain, on se rend compte que ce sont elles qui se bougent pour les questions concernant leurs enfants. Donc il faut assumer ce rôle, et surtout le politiser. Nous n’avons pas à nous cacher, nous n’allions pas nous appeler « front de parents » alors que ce sont les mères qui font tout.
Outre ce syndicat, vous êtes également fondatrice du réseau classe/genre/race qui lutte contre les discriminations subies par les femmes racisées. En quoi consiste-t-il ?
Je suis consultante en politiques publiques et j’ai constaté que les mesures mises en place par la ville était très discriminatoires. Ce réseau a été créé pour élaborer une contre politique publique en coordination avec des acteurs universitaires et militants. En 2015, j’ai écrit un livret Discriminations Classe/Genre/Race et j’ai fait un tour de France pour aller à la rencontre des femmes et parler avec elles de ces sujets. Ce n’était pas facile, le mot féminisme n’était pas très bien accepté. Ce qui renforce mon idée de l’importance de travailler sur le terrain.
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En Espagne, les grèves féministes du 8 mars réunissent énormément de monde. En 2019, 400.000 personnes défilaient dans les rues à Madrid contre moins de 10.000 personnes à Paris. Comment expliquez-vous qu’il y ait peu de mobilisations féministes de masse en France ?
En août 2018, j’ai été invitée aux universités d’été des mouvements sociaux et citoyens organisées entre autre par ATTAC. J’ai eu l’occasion de discuter avec des féministes d’Amérique du Sud et d’Espagne. Il y a dans ces pays une culture du mouvement de masse qu’il n’y a pas en France. En Espagne, il y a une vraie capacité de mobilisation. En France, on est davantage dans la réflexion on se mobilise pour des choses très théoriques mais pas pour des mesures concrètes. C’est élitiste, il y a plus facilement des débats entre deux chercheurs qui vont réunir une dizaine de personnes que des manifestations de masse. Par exemple, récemment il y eu des affaires de pédocriminels qui n’ont pas écopé de prison ferme mais seulement de peine avec sursis. Il n’y a pas eu de manifestations devant les tribunaux, alors que ça aurait été le cas en Espagne.
On a souvent l’impression que le féminisme est plus ancré dans la société espagnole que française. Qu’en pensez-vous ?
Le problème c’est qu’en France, les mouvements féministes ne servent pas à grand chose. On peut parler de féminisme déconnecté du terrain, très parisien et communicationnel. C’est bien de se réunir pour marcher avec les médias à Paris pour dénoncer les violences sexistes. Il faut aussi agir localement, dans son quartier, en allant chercher les personnes qui ne sont pas convaincues et voir comment on peut travailler ensemble.
Auriane Duroch