Tous les troisièmes mercredi du mois, la librairie française Jaimes, sous la plume du libraire Christian Vigne, nous recommande les dernières nouveautés et événements littéraires de la capitale catalane.
Évidemment quand le frôlement de la soixantaine tourne à l’usure des charnières, le constat de l’usage systématique, permanent y compris contre vents et marées de téléphones portables, ordinateurs, tablettes et autres androïdes (dont le nom que je le veuille ou non ne me renvoie qu’à mes vieilles séries intergalactiques de la première chaîne) désarçonne.
Bien entendu la question de savoir ce qui m’a échappé pour que la rapidité du changement ne m’ait laissé que le temps du constat est sans doute légitime. On peut aussi penser avec toute la bienveillance dont ce monde contemporain a fait une valeur fondatrice que finalement tous ces écrans sont sources d’apprentissage, d’appréhension du monde et que… Mais bon, admettons-le, la publication de La fabrique du crétin digital, de Michel Desmurget, éd du Seuil présente quand même une sorte d’assainissement jubilatoire. Langage amputé, attention saccagée, sédentarité dévastatrice, poids inquiétant des normes voici une partie de ce que provoquerait pareille surconsommation. On pourra toujours dire que si on nous l’avait demandé… il reste que Michel Desmurget, chercheur à l’INSERM, tire une sonnette d’alarme.
Ce que ferait aussi Thomas PIKETTY, (Capital et Idéologie, éd du Seuil.) constatant la persistance de nos sociétés à justifier les inégalités (dans le prolongement de « Capital au XXIº siècle »). La thèse est que le développement économique et le progrès humain ne se sont en aucun cas appuyé sur la propriété mais qu’ils sont au contraire nés de combats pour l’égalité et l’éducation. Un passage par l’Histoire pour soutenir la thèse de la possibilité d’une nouvelle idéologie de l’égalité.
Chez Julia DECK (propriété privée, éd. de Minuit), justement nouvelle propriétaire, le problème ce serait plutôt les Lecoq. On a quitté Paris pour une urbanisation, on n’en avait pas rêvé mais enfin ça n’est pas si mal, on y trouverait même quelques avantages voire une esthétique, pas besoin de vous faire un dessin, tout le monde sait de quoi il s’agit. Enfin « on », c’est plutôt elle, lui s’arrangera de tout ça avec sa psychiatre et quelques cachets, rien de nouveau de toute façon, il ne s’en fiche pas plus que du reste. Tout aurait donc pu se passer plutôt bien, disons dans une amorphe continuité, si les Lecoq n’étaient pas arrivés avec leur fichu camion pour s’installer en face. Mais attention, ce que veulent les Lecoq, ce n’est pas le banal enfer, non, c’est la destruction massive, l’anéantissement, le nucléaire du voisinage le big bang de la convivialité. Et chez Julia DECK, du détachement, un style, à parfaite distance des événements qu’elle raconte.
Qui est Francis Rissin?
Ne tournons pas autour du pot, je n’en sais rien. Francis Rissin apparaît d’abord sur des affiches, partout, son nom devient un phénomène, idolâtré par le bas peuple, honni et craint par les autorités, il menace les équilibres. En vérité, je vous le dis, si Francis Rissin est le messie, il est le seul à le croire et dans ce cas, comme son modèle, il lui a suffi d’une poignée d’admirateurs fanatiques pour créer une légende interminable. Mais nous sommes bien loin de Nazareth, dans un contexte politique contemporain et hexagonal. Si rien ne nous empêche de considérer les Évangiles comme une œuvre éminemment politique, moins que rien ne nous empêchera de penser que ce roman nous regarde en prétextant s’intéresser à un personnage inclassable tournant autour du pouvoir, s’y installant, le dédaignant, habité en somme par l’addition de nos croyances, de nos espérances mal définies, contradictoires et probablement un peu dérisoires.
Il reste que le roman de Martin Mongin (Francis Rissin, ed. Tusitala) est inclassable, unique, absorbant. Ça pourrait suffire à en faire le roman de la rentrée., vous savez, s-il-n-en-reste-qu-un-que-ce-soit-celui-la.
En bref
L’Institut Français de Barcelone reçoit Nicolas MATHIEU, auteur de « Leurs enfants après eux », prix Goncourt 2018 le 26 septembre à 19 heures et, que la fête continue, Delphine de Vigan le 8 octobre à 19 heures. Nous y serons.
Jaimes inaugure le 9 octobre l’exposition des épreuves originales des « Carnets de voyage » à l’hotel Petit Palace, carrer de la Boqueria, 10. Consulter notre site pour plus d’informations: www.jaimes.cat