En Espagne, la prostitution est un sujet épineux. Considérée comme « alégale », des entités militent pour l’abolition, tandis que les travailleuses du sexe demandent une reconnaissance de leurs droits.
« En cas d’abolition, il y aurait encore plus d’exclusion sociale et de pauvreté pour les prostituées » explique Janet, porte-parole de Putas Libertarias Raval. Créée en mai 2018, l’alliance réunit les travailleuses du sexe du Raval, où se situe la rue Robadors concentrant la prostitution de rue dans la capitale catalane. Janet et les autres prostituées du quartier s’organisent pour faire face à la « persécution policière et institutionnelle ». « Il y a un vrai manque de régulation du secteur, nous sommes criminalisées. On demande de pouvoir exercer une autogestion. Avec l’ordonnance municipale, les risques sont plus grands en captant le client sur la voie publique » raconte-t-elle.
En Espagne, la loi s’avère complexe. Le Code pénal punit de peine de prison le proxénétisme, la prostitution est interdite sur la voie publique, mais une personne a le droit de se prostituer volontairement. Ainsi, les maisons closes sont légales, dans le cas où un travailleur du sexe y loue une chambre. La Loi organique de protection de la sécurité publique, connue sous le nom de Loi Mordaza, définit la situation depuis juin 2015. Dans l’article 36.11, elle signale que tout client qui demande ou accepte des services sexuels dans des zones de passage public, à proximité d’endroits où des mineurs peuvent circuler ou s’il y a un risque pour la sécurité routière, peut être poursuivi. À Barcelone, une norme municipale l’interdisant déjà depuis 2012. Les clients peuvent recevoir des amendes allant de 1.500 à 3.000 euros et les prostituées entre 100 et 300 euros, voire 750 si elles sont à proximité d’une école.
« Abolir comme l’esclavage »
« On ne peut pas considérer que c’est un travail acceptable » s’indigne Sylviane Dahan, porte-parole de la Plateforme Catalane pour le Droit à ne pas Être Prostituée. L’organisation se place en faveur de l’abolition, « on ne souhaite pas une interdiction mais une abolition comme pour l’esclavage » explique la féministe. Pour elle, la prostitution reste un obstacle dans le combat pour l’égalité homme-femme. « Accepter la prostitution, c’est accepter de mettre en danger une femme. Or on ne peut pas accepter l’abus de pouvoir des hommes où seul leur plaisir compte ajoute-t-elle. Nous n’arriverons jamais à l’égalité si le corps d’une femme est mercantilisé, aucun corps d’être humain ne doit pouvoir s’acheter dans notre société démocratique. Il ne faut pas mettre en danger les plus vulnérables ».
Pour Sylviane Dahan il faut passer par une émancipation pour résoudre les véritables problèmes, même si le thème est difficile. « En Espagne, nous sommes dans un chaos idéologique, la loi est allégale, il manque une unité politique. Les partis de gauche et les féministes ne sont pas d’accords entre eux. » En 2018, le chef du gouvernement Pedro Sánchez affirmait que « la prostitution n’est pas légale » et que le parti socialiste était en faveur de l’abolition. Du côté de la maire de Barcelone Ada Colau, elle déclarait soutenir la création d’un syndicat pour les prostituées afin qu’elles aient plus de droits.
« Il suffit de regarder les pays qui ont légalisé la prostitution pour voir que c’est une mauvaise idée. En Allemagne, les grandes entreprises du secteur côtisent en bourse, ça prend des proportions énormes. Et les femmes dans tout ça? Elles n’y gagnent rien. (…) Il faut écouter les survivantes de la prostitution, celles qui s’en sont sorties pour comprendre le traumatisme vécu, d’avoir eu des relations quarante fois par jour » conclut Sylviane en faisant référence à Amelia Tinagus. Victime de traite, cette ancienne prostituée a pris la parole dans les médias espagnols. Elle raconte l’enfer vécu pendant cinq ans en étant exploitée dans une quarantaine de prostibules du pays. Selon l’ONG Anesvad, citant plusieurs études, 8 femmes sur 10 exercent la prostitution contre leur volonté en Espagne.
« Une société hypocrite »
« Nous sommes dans un système capitaliste et patriarcal, où nous sommes des exclues de la société » explique Janet. D’une voix posée, elle développe que les prostituées sont des travailleuses comme les autres, comparant leur situation avec celles « des classes ouvrières oubliées, où seuls les patrons comptent et non les employés. Nous avons le droit de donner notre opinion ». Depuis Putas Libertarias Raval, elle souhaite plus de reconnaissance des prostituées dans la société espagnole.
Une opinion partagée par Genera, association en défense pour les droits des femmes basée à Barcelone. « Il faut sortir du débat « prostitution oui ou non ». On ne demande jamais, le travail oui ou non. Personne ne serait d’accord avec l’interdiction d’un autre métier » explique la porte-parole Laura Labiano Ferré. « Il ne faut pas confondre les victimes de traite et les prostituées qui le font volontairement. Nous devons écouter l’opinion des travailleuses, c’est la première étape à suivre en Espagne pour comprendre quelle est la réalité » ajoute-t-elle.
Mais ce que Janet dénonce avant tout, c’est « l’hypocrisie de la société. Nous ne sommes pas reconnues alors que ça ne pose pas de problème que des touristes viennent pour la prostitution et se rendent dans des prostibules. » Selon l’ONU, l’Espagne serait le 1er pays d’Europe et le 3e pays du monde le plus consommateur de prostitution. Plusieurs études s’accordent donc à dire que c’est la 3e destination au monde de tourisme sexuel. « Il y a trois bordels pour un hôpital public » écrivait El País l’an dernier. « Notre argent gagné dégoûte, mais à la banque ce n’est pas le cas bizarrement » ironise Janet.
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