Premier port de croisières d’Europe et de la Méditerranée, Barcelone a battu son propre record d’affluence avec plus de trois millions de croisiéristes l’année dernière. Mais le port catalan est aussi le plus pollué d’Europe et, problème, il se trouve aux portes de la ville.
« Il est évident que le secteur maritime n’a fait pratiquement aucun progrès en matière de réductions d’émissions au cours des dernières années, comme ont pu le faire le secteur industriel et celui des voitures » explique à Equinox le scientifique Xavi Querol, spécialiste des questions de pollution au CSIC, équivalent du CNRS français.
La centaine de paquebots qui réalise un total de 830 escales environ chaque année à Barcelone pollue autant qu’un demi-million de véhicules. Selon plusieurs études, les activités maritimes représentent 40% des émissions d’oxyde d’azote et 12% des particules fines émises dans la ville. En cause: le manque de régulation du secteur, autorisé à utiliser le carburant le moins cher mais aussi le plus polluant, et le fait que les bateaux ayant accosté continuent d’utiliser ce carburant qui fournit en énergie l’ensemble de leurs installations. Au World Trade Center, prolongement artificiel de la vieille ville et quai utilisé par les ferrys, on peut sentir l’air pollué par le fioul, tandis que plusieurs bus réservés aux arrivants se préparent à rejoindre le centre-ville.
Un fioul lourd et polluant
Le carburant utilisé par les paquebots est en réalité du fioul lourd très chargé en soufre: à 3,5% soit 3000 fois plus polluant que les voitures. Et les navires ne sont pas équipés de filtres à particules. « Il y a un clair manque de régulation du secteur maritime qui peut faire des profits colossaux sur le dos de notre santé » s’exaspère Maria Garcia, porte-parole de l’association Écologistes en Action, en montrant la fumée noire s’échappant des navires amarrés face au World Trade Center.
Ce que réclament aujourd’hui écologistes et scientifiques, c’est la création urgente de Zones d’Émissions Contrôlées (ECA en anglais), qui imposerait un carburant moins chargé en fioul et des filtres installés sur les paquebots. La mesure existe déjà en mer baltique et en mer du Nord depuis 2015, et a permis de réduire de 50% les émissions. « Il s’agit de la première chose à faire, les pays de la Méditerranée doivent se mettre d’accord et créer cette zone » préconise le chercheur Xavi Querol. De fait, l’Espagne, l’Italie, la France et le Maroc se sont déjà montrés favorables à l’idée, mais la mise en place ne serait pas prévue avant 2025. Le scientifique évoque aussi la possibilité de créer un deuxième port hors de la ville.
Un manque de volonté politique
« Nous ne comprenons pas pourquoi en Méditerranée notre santé n’a pas autant de valeur que dans le nord de l’Europe » s’insurge Maria Garcia qui, elle, réclame une réduction drastique du nombre de croisières: « cela ne bénéficie qu’aux quatre entreprises contrôlant le secteur et n’apporte rien aux Barcelonais, sauf de la pollution et une importante massification touristique ». Les trois millions de croisiéristes qui envahissent les rues de la ville chaque année restent pour la plupart cinq heures à Barcelone, la visitent au pas de course et en groupes, et dépensent une moyenne de 57 euros par personne.
Lire aussi : Pollution à Barcelone: des effets dramatiques sur la santé
Pour Jordi Vila, responsable environnement au Port de Barcelone, il faut prendre du recul sur les demandes écologistes. « Comme tout secteur d’activité, le port pollue, mais ce n’est pas le premier problème de la ville, contrairement aux véhicules » fait-il remarquer en évoquant plusieurs études indiquant que la circulation routière est responsable de plus de 50% de la pollution à Barcelone.
Poussé par une opinion publique de plus en plus inquiète pour sa santé et pour l’environnement, le Port a toutefois pris quelques mesures, comme l’électrification des quais, qui permettra aux navires de s’y brancher pour maintenir leurs installations et ainsi couper leurs moteurs lorsqu’ils seront à quai. Mais il faudra attendre encore huit ans pour que 80% du port soit équipé.
La mollesse des pouvoirs publics exaspère chercheurs et écologistes. « La Méditerranée est un peu comme un cocotte-minute, il fait chaud, il y a beaucoup de bateaux, peu de vent et peu de pluie, des conditions idéales pour la pollution, explique Xavi Querol, nous devrions être pionniers dans la réduction des émissions et nous sommes complètement à la traîne ».
Pourtant la maire de gauche radicale Ada Colau avait fait de la lutte contre la pollution un cheval de bataille. Elle avait même déclaré vouloir réduire le nombre de croisières. Elles ont augmenté de 13% sur la seule année 2018. « La mairie fait beaucoup de déclarations, de réunions, de tables rondes, de commission, mais peu d’actions » estime l’activiste Maria Garcia. Début juillet, Ada Colau a déclaré envisager de « mettre des limites » au nombre de paquebots.