Alors qu’en France, une jeune Espagnole résidant dans l’hexagone depuis 17 ans se retrouve menacée d’expulsion pour atteinte à l’ordre public, le débat sur la libre circulation et résidence des ressortissants européens refait surface. Est-il possible pour un Français de Barcelone de se retrouver dans la même situation? Eléments de réponse.
L’arrestation puis l’ordre d’expulsion de Camélia ont suscité la perplexité et l’indignation en France. Cette Espagnole de 34 ans, enceinte et vivant en France depuis 17 ans, est accusée de « menace à l’ordre public et à la sécurité publique » après avoir participé aux manifestations du 1er mai dernier. Elle se rendait ce jour-là à un pique-nique pacifique « climatique, social et démocratique », rassemblant écolos et gilets jaunes.
Le bouclier de CRS décoré par ses soins et indiquant qu’elle était pacifiste a été assimilé à une « arme par destination », c’est-à-dire une arme improvisée. Elle a été arrêtée et placée en garde à vue pendant 34 heures. A sa sortie, la préfecture de police de Paris lui a adressé une obligation de quitter le territoire français (OQTF) ainsi qu’un placement immédiat en centre de rétention administrative. Selon eux, la future mère « représente une menace à l’ordre public ».
Depuis, Norma Jullien Cravotta, avocate de Camélia, a obtenu la sortie de rétention provisoire de la jeune femme et déposé un recours contre l’OQTF. Le Tribunal de Paris disposera de trois mois pour statuer. En attendant, Camélia peut rester sur le sol français. Mais son ordre d’expulsion a fait l’objet de nombreuses critiques, d’abord par l’avocate de la jeune femme, mais aussi par le collectif national pour le droit des femmes. Ailleurs en Europe, il interroge tout autant.
Et en Espagne?
Qu’en pensent les avocats espagnols? « C’est totalement absurde » répond Luciano Blanchi, juriste barcelonais. « Dans l’Union Européenne, l’expulsion du territoire d’une personne ayant acquis le droit de résidence permanent en Espagne, est possible mais seulement pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique, selon l’article 27 de la directive européenne 2004/81 » détaille-t-il.
Chaque État membre comprend et interprète ces notions comme il le souhaite. En Espagne, l’expulsion du territoire est régulée par le décret royal 240/ 2007, chapitre VI. Cependant, pour l’avocat catalan, « les notions d’ordre public et de sécurité publique sont deux concepts tellement ouverts qu’on peut les lire et les comprendre de différentes manières».
Mais en Espagne, comme en France, la loi fixe des limites à l’expulsion. « il faut prendre en compte la durée de résidence et l’intégration sociale et culturelle de l’intéressé en Espagne, son âge, son état de santé, sa situation familiale et économique et l’importance des liens avec ses pays d’origine » selon le décret royal 240/2007. Josep Conesa Sagrera, un autre avocat barcelonais, explique que dans le cas de Camélia, qui vit en couple avec un Français et a obtenu un CDI, « les clauses de sauvegarde de l’ordre public et de la sécurité nationale ont été interprétées par la Cour d’une manière très restrictive ». Avant d’ajouter qu’il « existe une jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qui refuse cette discrimination ».
Pour les deux avocats consultés par Equinox, l’expulsion d’un Français d’Espagne pour trouble à l’ordre publique est donc tout à fait possible, mais avec des raisons solides. Ce qui d’ailleurs, selon eux, ne s’applique pas dans le cas de Camélia.