Analyses et décryptages des élections législatives qui auront lieu ce dimanche 28 avril 2019 dans toute l’Espagne.
Le favori des sondages : Le premier ministre socialiste sortant Pedro Sanchez
Pour la première fois depuis la crise économique, le parti socialiste peut espérer arriver en tête d’une élection nationale.
Galvanisé par l’accès au pouvoir d’une manière indirecte suite à la motion de censure qui a fait chuter le conservateur Mariano Rajoy en 2018, Pedro Sanchez savait qu’il était un Premier ministre en période d’essai. Le socialiste a profité de ses quelques mois à la Moncloa pour offrir un visage aimable et moderne : gouvernement avec plus de ministres féminins que masculins, hausse historique du SMIC, exhumation du dictateur Franco pour le retirer de l’espace public.
En revanche, sans majorité socialiste, Pedro Sanchez s’est hissé au pouvoir en pactisant avec les indépendantistes catalans. Un véritable talon d’Achille qui pourrait lui faire perdre le scrutin dimanche. Donc Sanchez mise tout sur son capital sympathie et à la façon mitterrandienne espère faire le plein des voix de gauche effrayées par une alliance entre la droite et l’extrême-droite qui se profile.
Dans cette campagne électorale, le Premier ministre sortant est prudent comme un serpent et met en avant des propositions consensuelles dans la grande lignée sociale-démocrate. Taxer plus fortement les fortunes et les grandes entreprises afin d’égaliser la fiscalité sur les classes moyennes et les plus pauvres. Cependant, fiscalement le socialiste veut se rapprocher de la France en montant les impôts de manière globale pour créer un RSA. Le total remboursement des médicaments, une loi de protection animalière et la légalisation de l’euthanasie sont également au programme. En revanche concernant la Catalogne, Pedro Sanchez fait profil bas, et annonce simplement qu’il faudra travailler sur le financement des régions.
Pour occuper une nouvelle fois la Moncloa, Pedro Sanchez devra faire alliance à la fois avec Podemos, les nationalistes basques et probablement les indépendantistes catalans.
« Faites que ça passe » est le slogan de campagne de Pedro Sanchez, comme une supplication à ses électeurs : si les socialistes ne remportent pas un scrutin aussi favorable que celui de dimanche, béni par la division en 3 blocs des droites, ils ne gagneront jamais une législative.
Sur la circonscription de Barcelone, la candidate socialiste est la ministre de l’aménagement du territoire Meritxell Batet.
L’outsider : le conservateur Pablo Casado
Comme les Républicains en France qui se sont droitisés pour ne pas se faire dévorer par le Rassemblement National, le Partido Popular (PP) doit courir à droite pour ne pas se faire dépasser par les ultras de Vox.
Mélange de Jean-François Copé, Nicolas Sarkozy et François Fillon, Pablo Casado, 38 ans, se prépare à devenir le futur Premier ministre en cas de victoire des droites dimanche soir. Car ici, contrairement à la France, les conservateurs du PP et les libéraux de Ciudadanos ne mettent pas de cordon sanitaire autour de l’extrême droite de Vox. Si les trois partis obtiennent une majorité, ils formeront un gouvernement sans autre forme de procès.
Pour toucher ce but, Pablo Casado a dirigé sa campagne uniquement sur deux axes : l’indépendance de la Catalogne et la fiscalité. Casado a répété sur tous les tons, que Pedro Sanchez est devenu Premier ministre à la grâce des partis indépendantistes qui l’ont soutenu lors de son investiture. Le PP annonce un bis repetita si les socialistes, Podemos et les séparatistes obtiennent le nombre de suffrages nécessaires.
« Putschiste, défendeur d’un coup d’état, homme aux mains tachées de sang des victimes du terrorisme » (pour s’être allié avec un parti indépendantiste basque) Pablo Casado a développé un syndrome de la Tourette envers Pedro Sanchez.
Pour ne pas en arriver là, Pablo Casado sort le bazooka : appliquer de manière indéfinie l’article 155 de la Constitution espagnole qui suspend les institutions catalanes. Et de programmer la prise de contrôle madrilène de la police catalane (les Mossos d’Esquadra), de la télévision publique (TV3) et de l’éducation catalane.
Économiquement, Casado prend des accents reaganiens pour préparer la grande révolution fiscale se traduisant par une baisse massive de tous les impôts existants. Traditionnellement, le PP veut promouvoir la chasse, la tauromachie et se montre sceptique envers les politiques actuelles d’IVG.
Pablo Casado le dit à ses équipes : « l’électeur n’aura aucune raison de voter pour Vox avec notre programme ».
Sur la circonscription de Barcelone, la candidate est Cayetana Álvarez de Toledo. Née à Madrid d’une mère argentine et d’un père français dont elle a hérité le titre de marquise, “CAT” a vécu une jeunesse dorée entre Londres et Buenos Aires, avant de revenir en Espagne. Élue deux fois députée du PP en 2008 et 2011 , elle a renoncé à se représenter en 2015, jugeant le PP et Mariano Rajoy trop mous en matière de réformes économiques et de lutte contre l’indépendantisme. Elle a été choisir par Pablo Casado pour partir en campagne dans la circonscription la plus difficile pour le parti : Barcelone. “Elle a un sens presque religieux du travail politique” indique son ami le journaliste Arcadi Espada.
Le troisième homme : Albert Rivera de Ciudadanos
Perpétuel candidat aux législatives depuis 2014, sans jamais avoir dépassé la troisième place, Albert Rivera ne peut pas perdre ce scrutin. Avec un score décevant, Inès Arrimadas serait en embuscade pour prendre la direction de Ciudadanos. Le parti de droite libérale est doublement concurrencé par les conservateurs du PP et les radicaux de Vox. Certains sondages, même si l’hypothèse est peu probable, indiquent que Ciudadanos pourrait finir derrière Vox.
Pour ne pas se retrouver dans cette impasse, Albert Rivera a pris un ton martial pendant toute la campagne pour ne parler quasiment exclusivement que de l’indépendance de la Catalogne. Globalement, il prend les même positions que Pablo Casado, avec un argument de poids : quand le PP est au pouvoir il est laxiste avec les indépendantistes tandis que, selon son leader, Ciudadanos n’aura pas la main qui tremble pour mettre fin au nationalisme catalan. La bataille au sein des trois familles de droite se joue sur la crédibilité. Ciudadanos qui est né en Catalogne il y a 20 ans pour lutter contre le sentiment nationaliste catalan pense gagner une prime au mérite en la matière.
Si Ciudadanos est taxé d’extrême-droite pour ses positions sévères contre le séparatisme catalan, le reste de ses propositions flirte avec la sociale-démocratie aux accents libéraux. Remboursement intégral des médicaments, soins bucco-dentaires gratuits pour les moins de 16 ans, baisse des impôts pour les classes moyennes, permis à points pour les immigrés, défense de l’euthanasie : Ciudadanos s’inscrit dans le cercle libéral européen.
Sur la circonscription de Barcelone, la candidate est Inès Arrimadas. Fatiguée de n’être que la cheffe de l’opposition ad vitam æternam au parlement catalan, Arrimadas fait son envol dans la cour politique nationale. Médiatiquement reconnue, Inès Arrimadas est célèbre au-delà des frontières catalanes.
Le vieux jeune : Pablo Iglesias de Podemos
Fatigué, usé, vieilli à seulement 40 ans, Pablo Iglesias est déjà un éléphant de la politique espagnole. Le jeune indigné qui incarnait en 2011 la nouvelle politique espagnole a finalement pactisé avec le centenaire parti socialiste pour convertir Pedro Sanchez en Premier ministre.
Pablo Iglesias se voyait ministre, mais Pedro Sanchez a refusé. Une situation qui risque de se reproduire si les socialistes et Podemos obtiennent une majorité dimanche soir. Globalement Iglesias n’a pas trop le choix : Podemos est un parti en voie d’extinction. Le mouvement s’est coupé en deux cette année suite à un schisme provoqué par Íñigo Errejón et une partie des fondateurs en désaccord avec Pablo Iglesias jugé comme un dirigeant autoritaire.
Podemos devrait réaliser dimanche soir le pire score de son histoire et se retrouve sur le point, en mai prochain, de perdre ses deux principales mairies : Manuela Carmena à Madrid et Ada Colau à Barcelone.
Les propositions de Podemos restent dans les valeurs de la gauche alternative : hausse du Smic à 1200 euros, impôts sur les grandes fortunes et la banque, fermeture des centrales nucléaires. Pour la Catalogne, Podemos est le seul parti national proposant un référendum.
Sur la circonscription de Barcelone, le candidat est l’ancien adjoint à la mairie d’Ada Colau : Jaume Asens.
Santiago Abascal : Le Pen en Espagne
Vox aime le Rassemblement National et la réciproque est vraie. Marine Le Pen a publiquement félicité Santiago Abascal pour rependre les valeurs du RN en Espagne. Pour Vox, les frontistes et leurs relatifs succès électoraux sont un exemple.
Partie civile dans le procès judiciaire des leaders indépendantistes catalans, Vox a obtenu une jolie vitrine qui s’est traduite par l’entrée d’une dizaine de députés régionaux en Andalousie. Grâce à une rapide alliance avec le PP et Ciutadans, une majorité bleu marine soutien le gouvernement andalou. L’ambition est de reproduire les mêmes accords, au plan national cette-fois. Pour confirmer sa percée, Vox a deux axes : la Catalogne et les valeurs.
En Catalogne, Vox propose les mêmes solutions que le PP et Ciutadans en y ajoutant l’illégalisation des partis indépendantistes. Vox propose au passage de re-centraliser tous les pouvoirs régionaux du pays vers Madrid. Les « valeurs » de Vox sont l’interdiction de l’avortement, la lutte contre l’Islam et l’immigration illégale, l’euroscepticisme et la défense de l’armée. Beaucoup d’anciens généraux à la retraite sont d’ailleurs candidats de Vox.
Sur la circonscription de Barcelone, le candidat est l’odontologue Ignacio Garriga.
ERC : Oriol Junqueras, l’indépendantisme en pause
ERC : la gauche républicaine indépendantiste est représentée par son président en prison Oriol Junqueras. Vice-président de la Generalitat en 2017, lors de la déclaration d’indépendance, Junqueras est actuellement jugé à Madrid et pourrait purger une peine de 25 ans de prison pour avoir déroulé une feuille de route devant conduire la Catalogne vers une république souveraine.
Pour cette législative, ERC ne réclame pas l’indépendance de la Catalogne. En privé comme en public, les responsables du parti expliquent qu’ils faciliteront l’investiture de Pedro Sanchez, sans rien réclamer en échange. L’indépendance est en pause. Mais pas la stratégie d’ERC. Conscient qu’il est difficile d’imposer l’indépendance avec seulement 48% des voix, la doctrine Junqueras consiste à élargir la base sociale et sociétale du souverainisme catalan. Traduction : séduire les urbains, les latinos-américains et les Européens peu enclins au séparatisme en proposant des mesures visant à améliorer le quotidiens des citoyens.
Pour cette législative, ERC propose une batterie de mesures : encadrer le prix des loyers, légaliser l’euthanasie, reconnaître les médecines naturelles, interdire la vente d’armes à l’Arabie Saoudite, mieux accueillir les réfugiés. Concernant le dossier catalan, on lit dans le programme une timide « défense du droit des citoyens de Catalogne à exercer leur droit à l’autodétermination par référendum ».
Junts Per Catalunya : Jordi Sanchez, le flou indépendantiste
Le parti jumeau -mais concurrent- d’ERC présente lui aussi son candidat depuis la prison : l’activiste Jordi Sanchez poursuivi dans l’affaire de la déclaration d’indépendance avec une peine de 16 ans de réclusion comme épée de Damoclès.
Junts Per Catalunya (ensemble pour la Catalogne JxC) est le descendant de Convergencia, le parti de centre-droit catalan dirigé fut un temps par Artur Mas. Pris d’assaut par Carles Puigdemont, JxC a purgé tous les membres modérés du mouvement pour mettre en avant, les profils indépendantistes les plus déterminés comme l’ancienne ministre catalane de la culture Laura Borras. Au début de la campagne JxC se présentait pour créer un nouveau conflit catalano-espagnol. Mais au fil des jours, d’une manière difficile à comprendre, JxC s’est aligné sur ERC pour affirmer que le parti de Puigdemont était lui aussi prêt à investir Pedro Sanchez sans condition aucune. Jusqu’ici il y avait deux théories : élargir la base en y allant tranquillement (ERC) ou aller réclamer l’indépendance à grands cris à Madrid (Junts Per Catalunya). Aujourd’hui les deux partis proposant la même chose, le vote utile risque de pencher vers ERC donné grand favori dans les sondages.
Dans son programme électoral, JcX propose une décentralisation d’un certain nombre de compétences vers le gouvernement de Catalogne en matière d’impôts, de santé ou d’aides sociales. Pour solutionner le conflit catalan, le parti de Carles Puigdemont propose une relation bilatérale entre l’Espagne et la Catalogne.