Barcelonais et touristes croisent leur route tous les jours. Armés de leur caddie, ces travailleurs fouillent les conteneurs de poubelles pour trouver des métaux et les revendre quelques euros. Le monde de la ferraille leur permet de survivre. Reportage.
Photos: LS-AC/Equinox
“J’ai risqué ma vie pour arriver à Espagne, je suis passé par la mer. Mais quand je vois ma vie aujourd’hui je regrette” confie Acha. Originaire du Cameroun, l’homme a préféré taire son vrai nom “on ne sait jamais si ma famille installée ici ou en France me lit, j’ai honte.” Acha travaille dans une ferraille dans le quartier de Sant Martí. Du lundi au vendredi, il trie des métaux, essentiellement du fer, cuivre et inox, et des câbles amenés par des vendeurs. L’un d’entre eux renchérit: “oui ce n’est pas un travail digne, c’est honteux pour nous”, avant de refuser de répondre à plus de questions.
Acha est arrivé il y a huit ans en Espagne. “Je pensais avoir une vie meilleure ici car c’est ce qu’on nous fait croire depuis l’Afrique. J’ai 35 ans, pas de femme, pas d’enfant, un travail à haut risque, je ne vis pas je survis” raconte-t-il. Comme d’autres immigrés, il commence à vendre des métaux trouvés dans les rues lors de son arrivée à Barcelone, avant d’être embauché dans une ferraille il y a quelques années. Malgré ses gants de protection, ses mains et poignets sont parsemés d’entailles. Il résonne un bruit assourdissant, celui des métaux jetés dans un immense conteneur. “Ce sont des conditions de travail très difficiles. J’ai espoir que les choses changent mais il n’y a aucune évolution, ce sont les riches contre les pauvres” affirme-t-il. Acha se désole de l’accueil en Espagne. Il apprend l’espagnol et le catalan, finit par obtenir une carte de résidence, mais sans aucune aide. “En croisant la route de certains immigrés tu vas penser qu’ils sont fous, mais ils sont juste traumatisés par tant d’années de galère” explique-t-il. Son futur? Il le voit au Cameroun, dans son village. “Je pense sincèrement que je serai plus heureux là-bas” glisse-t-il avant de se remettre à travailler.
Gagner entre 5 et 8 euros par jour
À Barcelone, difficile d’estimer le nombre de vendeurs de ferraille. Ils parcourent le centre-ville, l’Eixample et bien d’autres quartiers. Adel Aye est arrivé il y a dix ans en Espagne, cinq ans à Barcelone. Les rues de Poblenou représentent son lieu de travail. Il arpente la zone tous les jours sauf le dimanche. “Je cherche dans les poubelles, mais j’ai de la chance je connais des personnes qui me donnent des câbles et de l’aluminium. J’ai aussi un ami dans le centre-ville qui m’appelle quand il en a beaucoup” explique le Guinéen. “Une fois que mon caddie est rempli, je vais dans l’entrepôt le plus proche pour vendre ce qu’il contient. C’est entre 10 et 15 centimes le kilo, ça dépend du lieu et surtout du cours des métaux”. Son revenu journalier dépend de la chance qu’il a, mais il se dit plutôt serein pour le futur.
Moussa vend de la ferraille depuis cinq mois seulement. Après avoir enchaîné les petits jobs, le cinquantenaire se retrouve sans emploi, il s’agit de sa seule alternative pour vivre. “Je gagne entre 5 et 8 euros par jour, 10 euros correspond à une bonne journée” explique-t-il. Il travaille également à Poblenou, huit heures au quotidien, du lundi au vendredi. “Je marche beaucoup c’est difficile. Ma famille est repartie au Sénégal il y a un an, moi pour l’instant je préfère rester ici” confie-t-il.
Des années de combat
Ce sont les ferrailles qui achètent les métaux aux vendeurs. Aucune pièce d’identité n’est demandée, ni la provenance du matériel. “N’importe qui peut vendre des métaux, mais ce sont essentiellement des Roumains, Africains et Gitans” explique Ndeye Gueye gérante d’une ferraille à Sant Martí. Lorsque les vendeurs arrivent, le matériel est trié, puis pesé afin de déterminer le prix d’achat. Il est ensuite jeté dans le conteneur correspondant, avant que Ndeye Gueye donne un reçu aux vendeurs. Une fois le conteneur rempli, un grossiste lui rachète le tout.
À son arrivée en Espagne en 2008, la Sénégalaise travaille dans un champ de fraises à Huelva en Andalousie. Lorsqu’elle déménage dans la capitale catalane, elle concocte des jus de bissap, une boisson traditionnelle du Sénégal et des sandwichs qu’elle vend aux ferrailleurs. Puis, elle commence à économiser et achète sa première balance dans un squat. Grâce à la Fundació Servei Solidari, elle ouvre son propre local carrer de Bolívia en 2013, aux côtés de son mari ancien vendeur. Mais la ferraille doit fermer au bout de six mois, n’ayant pas la licence adéquate. S’ensuit alors un véritable parcours du combattant pour Ndeye Gueye. “Tout le monde se connaît dans le monde de la ferraille, je voyais des Espagnols avoir la licence en deux trois mois, alors que moi il m’a fallu deux ans. Je n’ai rien lâché, j’insistais beaucoup auprès de la mairie pour savoir où en était mon dossier.” raconte l’entrepreneuse.
“Au lieu de m’encourager car je suis la première femme africaine à ouvrir une ferraille à Barcelone, on me met des bâtons dans les roues” regrette-t-elle. Si aujourd’hui la ferraille fonctionne, cela reste difficile: “je cherche des gens pour m’aider, des grossistes pour investir afin de pouvoir acheter des camions, conteneurs pour me développer car je ne peux pas faire plus” conclut Ndeye Gueye.
Coopérative de l’espoir
Dans la capitale catalane, beaucoup de vendeurs vivent dans des bidonvilles par manque de moyens financiers. La mairie a déclaré en ce début d’année que 481 personnes habitent dans des installations irrégulières en 2018. Une situation qui dure depuis de nombreuses années. En 2015, plusieurs endroits de ce type ont été évacués dans la zone de Besós. Consciente de ne pas proposer de vraies alternatives aux habitants expulsés, la municipalité décide de créer une coopérative spécialisée dans le ramassage de ferraille, activité à laquelle se dédiaient de nombreuses personnes touchées. Alencop voit le jour la même année pour offrir de dignes conditions de travail.
“Nous avons commencé avec 15 membres, pour arriver jusqu’à 30 il y a quelques mois. Plusieurs employés sont partis après avoir trouvé un emploi donc nous sommes aujourd’hui 21, tous immigrés subsahariens de huit nationalités différentes” se félicite le gérant Ivan Menal. “En plus des employés, il y aussi un chef de production, comptable, chef d’atelier, travailleur social et une avocate” ajoute-t-il. Une initiative positive, mais qui reste encore mineure face aux nombreux vendeurs de ferraille de Barcelone.