F-M Álvaro : « En Espagne, le fascisme est vu comme moins dangereux qu’ailleurs »

Francesc-Marc Álvaro est journaliste. Il écrit dans la Vanguardia depuis 18 ans et prête sa plume au pure player indépendantiste Nació Digital.

A première lecture, politiquement compliqué de discerner clairement l’orientation de Francesc-Marc Álvaro. Nous le rencontrons à la Facultat de Comunicació Blanquerna de Barcelone, où le journaliste et écrivain est aussi professeur. « Je suis un indépendantiste qui manie l’autocritique » explique Álvaro. Il se dit la cible de « commentaires négatifs sur les réseaux sociaux, autant par les indépendantistes que par les militants en faveur de l’unité de l’Espagne » ce qui lui paraît être une bonne chose.

Francesc-Marc Álvaro est né à Vilanova i la Geltru en 1967. Sa mère était femme au foyer. « Un dur travail » selon le journaliste. Son père ramenait le revenu familial,  travaillant dans une entreprise de peinture.

Avec ses ouvrages récompensés par de nombreux prix journalistiques, ce quinquagénaire dynamique est devenu un spécialiste de la politique catalane et du Franquisme en Espagne. « Je ne suis techniquement pas historien, j’étudie le passé pour comprendre le présent » précise Álvaro.

Histoire

Tout au long de la discussion, l’écrivain veut tordre le coup aux idées reçues, faussement historiques. Dire que la Catalogne a perdu son indépendance en 1714 « n’est pas scientifiquement correct » affirme le journaliste. « Certes les Catalans se sont révoltés contre le roi d’Espagne lors de la guerre de succession, et du coup après 1714, la Catalogne a perdu son autonomie politique, mais le peuple ne luttait pas pour acquérir l’indépendance ».

Francesc-Marc Álvaro continue sa lecture de l’Histoire : Non, le président Lluis Companys, dirigeant catalan exécuté par l’Espagne franquiste, n’était pas à proprement dit un indépendantiste. Le président Companys a proclamé la République catalane, « dans une révolte coordonnée avec la région des Asturies pour empêcher un gouvernement de droite en Espagne. D’ailleurs à cette époque il y avait une faible présence des indépendantistes dans le paysage politique. La gauche Républicaine (ERC) aujourd’hui est un parti indépendantiste, à l’époque elle ne l’était pas dans sa totalité. Certes le président Macia était indépendantiste mais il ne représentait pas la majorité de son parti. Il faudra attendre le 18e Congrès National d’ERC, en juin 1989 pour que le mouvement devienne officiellement indépendantiste ».

Pujol

Le premier président de la Catalogne après le rétablissement de la démocratie Jordi Pujol ne fut pas non plus indépendantiste. D’aucun lui attribue un plan machiavélique plus ou moins secret pour obtenir de nombreuses compétences de Madrid et ainsi jeter les bases du futur État catalan. Fin et habile politique, le président Pujol a toujours donné une stabilité au gouvernement espagnol grâce aux députés catalans à Madrid. En échange de ce soutien, Pujol a obtenu de larges avancées pour la Catalogne : notamment la création de la police catalane, les Mossos d’Esquadra. « Le président Pujol cherchait le maximum de compétences politiques pour la Catalogne sans briser l’Espagne. Pujol voulait une relation bilatérale Espagne/Catalogne » analyse Álvaro.

Aujourd’hui retiré de la vie politique après un scandale de corruption, celui qui a gouverné la Catalogne pendant près de 40 ans a disparu des médias. Francesc-Marc Álvaro a encore quelques contact discrets avec l’ancien président qu’il connaît très bien, le livre  « Ara sí que toca! Jordi Pujol, el pujolisme i els successors« (2003) est une anthologie des années Pujol. Bien que les présidents Mas et Puigdemont soient issus du parti politique de Pujol, celui-ci « voit les choses avec distance, il est très prudent, il ne parle jamais ni en bien ni en mal du processus indépendantiste, mais selon mon avis personnel et tel que je le connais, il  doit être critique avec la manière dont les choses ont été faites. On ne sait pas comment Pujol aurait agi aujourd’hui si il était au pouvoir, car la société a changé avec un indépendantisme qui frôle les 50 % ».

 

alvaroIl faudra attendre les présidences d’Artur Mas et surtout de Carles Puigdemont pour que l’indépendantisme moderne éclose politiquement. Deux manières d’agir. Un style d’énarque pour Artur Mas et d’indépendantiste pur jus avec Carles Puigdemont.

Futur

Concernant la suite du processus indépendantiste, Francesc-Marc Álvaro estime que le mouvement est dans une sorte de mi-temps. Aujourd’hui la société catalane est divisée en deux pôles avec un indépendantisme coincé à 47,5%, un unionisme à 44 % et les « équidistants » de la branche locale de Podemos et d’Ada Colau qui représentent 7,5%.

L’écrivain analyse que si le procès qui aura lieu l’an prochain contre les anciens ministres de Puigdemont se solde par de lourdes peines de prison, les votants de Podemos et Colau pourraient se ranger derrière les indépendantistes. « Ils ne sont pas tous en faveur de la séparation de la Catalogne mais la prison peut être insupportable pour ces électeurs et cela pourrait faire dépasser la barre de 50% au mouvement indépendantiste. Si Madrid faisait une grande proposition protégeant la fiscalité, la culture et l’identité catalane, le sentiment indépendantiste baisserait largement, mais Madrid ne le fera pas car ils ont peur des milieux les plus conservateurs » analyse Álvaro.

Fascisme

Alvaró se veut formel. « La culture politique espagnole est très fragile sur le plan démocratique ».  Après avoir étudié le sujet dans son ouvrage « Els assassins de Franco«  (2005), il estime que l’État espagnol n’a pas complètement tourné la page du franquisme, dont les résidus sont nombreux, surtout dans le monde judiciaire.

L’explication selon Álvaro se trouve dans l’Histoire : « En pleine guerre froide, les Etats-Unis voyaient en l’Espagne de Franco un rempart face au communisme et ont aidé au maintien du dictateur. 40 ans de régime dictatorial ont solidifié une culture démocratique très faible. L’Espagne reste très autoritaire par rapport à ses pays voisins. Ça reste un monde à part. Le fascisme est perçu ici comme quelque chose de moins dangereux que dans les autres pays européens ». 

Pour Francesc-Marc Álvaro, dans sa gestion régionale,  finalement l’Espagne aurait voulu ressembler à la France qui est l’État le plus centralisé d’Europe. La France a réussi à faire disparaître ses langues locales. Selon l’écrivain « l’Espagne n’est pas plus respectueuse dans ce domaine, seulement le centralisme espagnol fut plus incompétent que son voisin français. Le centralisme en France est un succès, tandis qu’en Espagne c’est un échec relatif ».

Doter l’Espagne d’un système centraliste à la française est la mission que s’est fixé Ciutadans. Álvaro rappelle que Ciutadans n’est pas un parti anti-indépendantiste mais anti-catalaniste, puisque la naissance du mouvement est antérieure au processus indépendantiste.

Barcelone

Un des ouvrages notables de Francesc-Marc Álvaro est un livre sur l’ancien président catalan socialiste « Què pensa Pasqual Maragall (1998) ». Aujourd’hui le frère Maragall Ernest va tenter sa chance pour remporter la mairie de Barcelone sous les couleurs de ERC. Alvaró opine que « Maragall est un bon candidat, mais handicapé par la probable erreur de l’indépendantisme  de présenter plusieurs candidats. Il ne faut pas sous-estimer la candidature de Manuel Valls qui est crédible et peut regrouper les votants de droite et une frange du socialisme » conclut le journaliste.

Francesc-Marc Álvaro va bientôt sortir un nouveau livre, mais il nous jure que cette fois-ci, il ne sera pas question de politique.

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