Que faire et vers où aller ? Depuis 2012, les indépendantistes déroulaient leur feuille de route vers la République catalane. Un an après le référendum les séparatistes, divisés, n’arrivent pas à dessiner une nouvelle carte de navigation.
Carles Puigdemont reste le leader qui plaide pour continuer la voie de l’affrontement face à l’État espagnol. Cependant, exilé à Bruxelles, l’ancien président n’a plus l’influence qu’il possédait lorsqu’il occupait le siège du Palau de la Generalitat. A Madrid son propre parti le PDeCAT a voté, contre l’avis de Puigdemont, la motion de censure contre Mariano Rajoy permettant ainsi au socialiste Pedro Sánchez de devenir Premier ministre. Les indépendantistes, après avoir déclaré l’Espagne comme un pays voisin de la Catalogne, ont voté favorablement la mise en place d’un nouvel exécutif national. Malaise.
Déchirement
A Barcelone, le président Quim Torra essaie de faire le grand écart. Nommé par Carles Puigdemont, le président Torra se doit de garder la flamme unilatérale tout en ne désobéissant plus aux lois espagnoles.
Les incarcérations, les exils, l’application de l’article 155, ont marqué au fer rouge le monde politique catalan. Le gouvernement catalan est dirigé par le PDeCAT de Carles Puigdemont (centre droit) et par ERC, la gauche républicaine indépendantiste.
A ERC on le dit clairement « Nous ne devons plus faire de nouveaux martyrs ». Le parti est particulièrement impacté par les répressions: le président, sa secrétaire générale, les anciens ministres des Affaires étrangères, de l’Agriculture, de la Santé, et l’ex-présidente du Parlement sont en prison ou en exil. Les dirigeants d’ERC actuellement au pouvoir collaborent avec l’Espagne: le ministre de l’Economie Pere Aragonès a négocié avec le gouvernement espagnol des accords de financement pour la Catalogne. Le ministre des Affaires étrangères Ernest Maragall a expliqué que l’indépendantisme doit rester dans le strict cadre des lois espagnoles. Le président du parlement Roger Torrent n’est pas Carme Forcadell: la chambre catalane doit désormais s’inscrire dans le respect de la Constitution espagnole.
Les députés du parti à Madrid ont sorti des punchlines qui ont bousculé l’indépendantisme : « Il faut dégonfler le ballon de l’indépendantisme magique » pour Gabriel Rufian, « Il faut être idiot pour croire que l’on peut faire l’indépendance avec moins de 50% des votants en faveur du oui » selon Joan Tarda. Ces deux parlementaires, il y a tout juste un an, expliquaient qu’ils allaient quitter le Parlement espagnol après la déclaration d’indépendance. Ils sont restés assis sur leur siège de parlementaire, de la rue San Jeronimo, à Madrid.
Futur trouble
Dans l’impossibilité de mener une politique unilatérale, le président catalan fait des projets pour le futur. A plusieurs reprises, le chef de la Catalogne affirme qu’en cas de condamnation dans le cadre du procès de la déclaration d’indépendance, une mesure drastique institutionnelle sera prise. Ici aussi, ERC a tué le projet dans l’œuf. L’ancien ministre des Affaires extérieures, actuellement incarcéré, Raul Romeva a twitté (via ses proches) que le procès serait de toute façon injuste et qu’il est inutile et contre-productif de planifier la vie politique catalane autour de cet événement.
Per tot això, el judici no ha de ser vist com una meta o cruïlla. No ho és, no ho serà. Fixar-lo al calendari com a cita decisiva, legitimar-lo, és un error que consolidarà l’estratègia de l’Estat. Sense adonar-nos-en, la reforçarem i la farem triomfadora. 6/8
— Raül Romeva i Rueda (@raulromeva) 19 de septiembre de 2018
Au-delà de point de vue divergent sur la stratégie politique, ERC et PDeCAT se livrent une bataille politicienne pour prendre le contrôle hégémonique du mouvement indépendantiste et cherchent en permanence à se mettre KO l’adversaire. Une lutte fratricide qui fragilise le processus indépendantiste.
Le PDeCAT de Carles Puigdemont, contrairement à son chef, n’est pas non plus dans la course folle qui passe par la désobéissance face à l’État espagnol. L’ancien ministre de l’Intérieur qui est incarcéré depuis un an, plaide dans son livre écrit depuis la prison pour respecter les lois et faciliter ainsi le traitement judiciaire des prisonniers et exilés.
Miquel Buch aujourd’hui à la tête du ministère de l’Intérieur a ordonné aux Mossos d’Esquadra samedi de charger contre des manifestants indépendantistes sur la plaça Sant Jaume. Les militants voulaient protester contre une manifestation de policiers espagnols venus à Barcelone célébrer l’action répressive de l’Etat le 1er octobre dernier. Nombreux sont ceux dans le camp indépendantiste à se demander pourquoi le gouvernement catalan a permis que cette manifestation ait eu lieu au centre de Barcelone.
Le ministre de l’Intérieur s’est défendu en expliquant que la Constitution espagnole autorise les manifestations même si Miquel Buch estime que ça fait mal au ventre d’avoir des syndicats policiers d’extrême droite qui défilent à Barcelone. L’action des Mossos a, selon le ministre, permis d’éviter un affrontement violent entre indépendantistes et policiers espagnols manifestants. Les images des Mossos frappant des indépendantistes font mal. Le gouvernement catalan a peur de se voir poursuivi à son tour par les tribunaux espagnols et agit désormais en concorde avec les lois espagnoles d’une manière méticuleuse.
Beaucoup de votants indépendantistes sont déconcertés. Devant la boussole cassée des partis gouvernementaux, les électeurs pourraient se tourner vers l’extrême gauche de la CUP. Le parti anti-capitaliste est le seul à avoir garder une ligne cohérente depuis 2017: l’indépendance a été proclamée le 27 octobre dernier et la République catalane doit maintenant se mettre en place concrètement, en faisant abstraction de ce que disent les tribunaux espagnols. Lors du prochain scrutin, si les choses restent en l’état, la CUP pourrait réaliser le meilleur score de son histoire.