La directrice adjointe du journal La Vanguardia publie aux éditions Planeta un livre sur le processus indépendantiste : le naufrage catalan.
Crédit photo : Facebook Lola Garcia
Lola Garcia, directrice-adjointe de la Vanguardia, vient d’une autre époque. De cette ère, commencée en 1981 et achevée en 2015, où les catalanistes bourgeois avaient leur entrées au Palau de la Generalitat en même temps que leur siège en vue au Liceu. Si ces notables peuvent toujours assister aux représentations artistiques du théâtre de la Rambla, ils ne peuvent plus accéder aux premières lignes de la grande comédie politique.
La Vanguardia est historiquement proche de Convergencia y Unio (CiU), cette grande coalition catalaniste de centre-droit qui est restée au pouvoir entre 1980 et 2003. Le journal est socialo-compatible, et le courant est bien passé pendant les années de gouvernance socialiste à la Generalitat entre 2003 et 2011.
CiU revient au pouvoir en 2011 avec Artur Mas. Exaltation au 477 de l’avenue Diagonal dans les locaux de la Vanguardia. Le dauphin de Jordi Pujol fait partie de la maison pour le journal de référence. Lola Garcia, arrivée dans l’équipe dirigeante de la Vanguardia en 2014, soutiendra médiatiquement la consultation populaire du 9 novembre 2014, ersatz de référendum indépendantiste.
Unilatéralisme
La bourgeoisie catalane joue à se faire peur. Peu enclin à l’indépendance pure et dure, le journal, propriété du comte Godo, noble d’Espagne, soutient – comme 80% de la population catalane – le concept d’autoriser un référendum légal sur la question. La démarche d’Artur Mas de simuler un référendum enthousiasme la Vanguardia qui croit alors que ce sera la voie ouverte vers une négociation avec Madrid. Les oracles et analystes politiques du journal se sont lourdement trompés.
La consultation est le coup d’envoi de la course folle vers un processus indépendantiste, radical et unilatéral. C’est d’ailleurs le nouveau leitmotiv d’Artur Mas. Dans la campagne électorale de septembre 2015 , le candidat Mas évoque la constitution du nouvel état catalan en 18 mois. Lola Garcia et la Vanguardia se sentent trahis par ce président qui ne les représente plus.
Scandale
Un fait inouï a lieu le 30 octobre 2015. Dans un article intitulé « Mas à ses ministres : vous me demandez des élections ? » Lola Garcia publie dans la Vanguardia les coulisses du précédent conseil des ministres, ce qui d’ailleurs est interdit par la loi. Se basant sur des faits rapportés par un des participants, Garcia décrit une atmosphère chargée d’électricité où les ministres s’inquiètent auprès du président Mas de ce qu’ils considèrent comme une grave dérive indépendantiste. Du jamais vu dans les colonnes du journal, Lola Garcia publie une bombe contre Artur Mas, probablement pour donner du poids aux critiques des ministres contre la feuille de route indépendantiste. Cet acte a été la première rupture entre CiU et son journal fétiche.
Le pire était à venir. L’investiture d’Artur Mas est impossible, l’extrême-gauche indépendantiste indispensable pour obtenir la majorité au parlement bloque. Le substitut sera Carles Puigdemont. Héritier d’Artur Mas, le nouveau président jette son dévolu sur la presse indépendantiste digitale. Ancien journaliste, Puigdemont pense que la presse papier a son avenir derrière elle, et penche ouvertement pour les médias indépendantistes en ligne : Naciodigital , El mon , Vilaweb , El Nacional.
Le 13 juillet 2017, Lola Garcia réitère l’opération en sortant cette fois-ci un article sous le titre : « Au bord de l’implosion ». Même concept que pour le conseil des ministres d’Artur Mas, Lola Garcia se base sur des confidences de ses amis politiques pour expliquer que l’exécutif de Carles Puigdemont va s’effondrer sous le poids de la pression du processus indépendantiste. Puigdemont n’aura pas l’élégance d’Artur Mas qui n’a jamais commenté publiquement l’article de Garcia. Le président répond avec un tweet virulent et ironique sur « la presse de référence qui lance désormais le nouveau genre journalistique de la fiction ».
A la « premsa de referència » emergeix un nou gènere periodístic: el periodisme de ficció. La narrativa de la versemblança ho aguanta tot.
— Carles Puigdemont 🎗 (@KRLS) 13 juillet 2017
Le divorce entre la Vanguardia et la Generalitat est consommé. Au fur et à mesure que la date fatidique du 27 octobre approche, la Vanguardia sous la plume du directeur Marius Carol et son adjoint Enrich Juliana suppliaient littéralement Carles Puigdemont ne pas proclamer l’indépendance.
Naufrage
Lola Garcia sort son livre pour raconter sa vision du processus indépendantiste, rien de surprenant dans le choix du titre : « le naufrage catalan ». La journaliste s’est basée sur une métaphore du président Mas pour évoquer la traversée des eaux indépendantistes. Garcia remonte son ouvrage aux années Mas, passant sous silence le rôle de son journal, et déroule le fait jusqu’aux élections de décembre 2018.
Le livre est en fait un long article de la Vanguardia compilant les faits sous un ordre chronologique. Pour le lecteur assidu du journal, le livre n’apportera strictement rien de plus que les chroniques dominicales de Lola Garcia. Pour quelqu’un qui a survolé l’actualité et veut maintenant en apprécier les détails, l’ouvrage de Lola Garcia peut être intéressant car il est écrit de manière assez pédagogique et fluide. La journaliste essaie d’être neutre et objective, au-delà du rôle joué par son journal dans le processus indépendantiste : l’exercice est plutôt réussi.
Il en ressort au final une bourgeoisie déboussolée politiquement par tout ce qu’elle a vécu ses 6 dernières années.