Maria Teixidor est la seule femme qui siège au comité directeur d’une des plus grandes institutions de la Catalogne, le FC Barcelone. « C’est un honneur », nous confie celle dont le père l’emmenait au Camp Nou, « car le garçon tardait à venir dans la famille ». Entre autres avocate, mère et épouse, Maria Teixidor prend le temps d’expliquer à Equinox’Elles ses idées et son implication pour que plus de femmes aient l’opportunité de vivre la vie qu’elles souhaitent. « Je le fais pour mes filles » nous dit-elle en nous quittant. Un entretien, en français, passionnant.
« Je crois à la coresponsabilité entre femmes et hommes »
Equinox’Elles: Pourquoi les femmes aiment plus le football en Catalogne qu’en France ?
Maria Teixidor: C’est une tradition. Le Barça signifie tellement plus que le foot, c’est difficile de grandir ici sans être touchée par le foot. Notre club est très grand puisqu’il appartient à 150 000 membres. Il touche donc un grand nombre de familles et, grâce aux penyas (groupes de supporters) qui organisent des activités qui vont bien au-delà du foot, les sociétés qui les entourent. C’est une identification très émotionnelle pour nous.
En quoi consiste au quotidien être membre du comité directeur du Barça ?
On définit surtout la politique du club, les objectifs et le suivi de ces objectifs. Nous voulons que le Barça soit le club le plus respecté et admiré du monde. Ça ne me prend pas tout mon temps car j’ai aussi ma profession. Chaque jour, je veille à ce que tout se passe bien. On a de très bonnes équipes au FC Barcelone, donc c’est un travail facile parce que la structure fonctionne.
Etre membre du comité directeur du Barça n’est pas votre activité principale ?
Non ! C’est une activité que je fais parce que j’adore la Barça, c’est une responsabilité que j’assume car on nous a élu pour (en 2015 pour 6 ans NDLR), mais on est bénévole.
Comment faites-vous pour combiner votre travail d’avocate, de membre du comité directeur du Barça et vos responsabilités familiales ?
Je ne sais pas (rires). C’est un peu au jour le jour. Je crois à la coresponsabilité partout dans ce que l’on réalise.
C’est quoi la coresponsabilité ?
En tant que femme qui a toujours travaillé, femme qui est une mère, je pense que la coresponsabilité entre sexes n’est pas une chose qu’il faut seulement exiger au travail, mais aussi à la maison. Je conçois la vie comme un travail d’équipe, chez soi et ailleurs. Alors j’ai un mari qui est coresponsable à la maison. Je ne considère pas que mes enfants soient mon problème à moi. C’est quelque chose qu’on a voulu à deux, donc c’est quelque chose dont on s’occupe dans la même mesure. Et si dans une période de ma vie c’est moi qui ai le plus d’obligations, c’est lui qui va y mettre plus de sa part et inversement.
« Les femmes ne doivent pas renoncer à leurs rêves »
Qu’est-ce que vous diriez aux femmes qui souhaitent vivre leur passion mais qui n’osent pas faire le pas ?
Je crois qu’il ne faut pas renoncer à nos rêves. Il faut récupérer les rêves qu’on a eu en tant que jeune fille, en tant qu’adolescente, en tant que personne qui voulait arriver dans ce monde et s’y lancer. Ce qui nous arrête parfois, nous les femmes, c’est l’idée qu’il nous faut toujours couvrir le 100% du savoir pour avoir le droit d’être à un poste, et qu’il faut toujours démontrer un peu plus pour le mériter. Il nous faut casser cette barrière mentale. Je crois beaucoup à ne pas se laisser enfermer dans dans un schéma de personnalité ou de manière d’être au féminin, qui a été toujours marqué par l’homme et où notre voix n’a pas toujours été entendue. Alors qu’est-ce que je dirais à ces femmes ? Que les rêves qui ne se poursuivent pas se meurent. Il faut un peu être capable de dire « oui je vais le faire » et le faire (rires).
Vous parliez de coresponsabilité. Ça c’est la théorie. Dans la pratique, est-ce que cette coresponsabilité est bien acceptée, autant au travail qu’à la maison ?
C’est une culture à changer et c’est très difficile bien sûr. Je crois qu’il faut commencer par nos enfants et l’éducation à l’école. Il nous manque beaucoup de référent féminin. Quand on est à l’école, c’est Jeanne d’Arc, Marie Curie et peut-être Margaret Thatcher maintenant, mais ça s’arrête là. Où sont toutes les scientifiques ? Toutes les juristes ? Toutes les politiciennes ? Il y a plein de femmes qui ont fait beaucoup de choses et on n’a pas reçu cette idée dès petite qu’on peut y arriver. La coresponsabilité sera peut-être plus envisageable depuis cette position.
Après il faut chercher les hommes qui veulent cette coresponsabilité. Je crois beaucoup au choix du partenaire. Je ne pourrais pas faire ça à la maison et exercer cette coresponsabilité si je n’avais pas un partenaire comme le mien. Il faut aussi faire découvrir aux hommes les bénéfices qu’il y a à exercer une paternité responsable, qui va leur donner des joies qui peut-être leur étaient interdites par le fait que la conscience sociale pense que l’homme doit travailler alors que la femme reste à la maison. Mais je crois qu’il y a plein d’hommes dans le monde qui sont prêts à faire ce changement.
Vous êtes la seule femme au comité directeur du Barça aujourd’hui. C’est si difficile de recruter des femmes au comité directeur du Barça ?
Difficile d’y arriver ou de recruter ?
Difficile de recruter quand le président fait sa liste. Est-ce que c’est difficile pour lui de trouver des femmes qui veulent participer ?
C’est ce qu’ils disent. Je dirais plutôt qu’il y a un problème de connexion. Même si ce n’est pas tout à fait vrai, les hommes parlent plus avec des hommes quand ils décident de recrutement de leur entreprise ou dans leur monde. C’est une question de structure sociale.
Qu’apportez-vous de différent au comité directeur ?
Ah il faudrait demander aux hommes (rires).
D’accord, je leur demanderai.
Oui, c’est une question à leur poser. Mais en général, je crois que le monde ne peut pas se permettre de renoncer aux 50% de l’humanité que sont les femmes et leur vision du monde. Je crois qu’on est aussi dans un moment où l’on affronte des problèmes au niveau global qui sont à résoudre par des nouvelles formes de pensées et je crois que les femmes ont cette vision. Elles sont capables de mettre en relation des choses qui parfois ne semblent pas connectées entre elles. Pas seulement dans ce club, pas seulement dans cette ville et pas seulement dans ce pays, mais dans le monde entier pour faire face à des problèmes qui aujourd’hui nous demandent de nouvelles solutions qui ne sont pas encore trouvées.
« En théorie je ne suis pas pour les quotas. Mais dans la pratique… »
En politique, notamment en France, il y a des quotas dans les listes électorales hommes/femmes. Est-ce que tu penses que ça serait une bonne idée d’avoir une liste de quotas aussi au Barça pour qu’il y ait plus de femmes au sein du comité directeur ?
En théorie je n’aime pas les quotas. Je pense que c’est quelque chose qui ne devrait pas être nécessaire. Mais en pratique je suis pour car je crois que c’est la seule façon d’arriver à l’égalité entre les femmes et les hommes. Par exemple, dans le monde judiciaire, seuls 12% des juges de la Haute Cour de justice espagnole sont des femmes alors qu’il y a beaucoup plus de juges femmes que hommes. Pourtant, quand on leur a donné le droit d’exercer en 1977, on leur a dit « attendez 30 ans et vous y arriverez » ! Alors si le temps ne fait pas son oeuvre, c’est à nous de forcer ce changement par la voie de l’obligation. C’est arrivé avec le tabac quand il a été interdit de fumer dans les espaces fermés ou pour les motards quand on a forcé tout le monde à porter le casque.
L’équipe de foot féminin est professionnelle depuis plus de 3 ans. Qu’est-ce qu’elle apporte au Barça ?
Je crois que ça lui apporte une vision du 21e siècle. C’est quelque chose de naturel aux Etats-Unis, au Japon, en France, en Allemagne, en Europe… Le foot féminin est en train de croître de manière spectaculaire ! C’est aussi une revendication pour les femmes parce que c’est vraiment des filles qui ont voulu jouer et qui ont lutté pour jouer. Elles ont lutté pour être professionnelles, pour avoir leur championnat, pour entrer dans la compétition. Ça nous apporte de la présence, dans ce monde qui est à venir et où le Barça veut jouer son rôle de leader.
Et socialement, qu’est-ce que ça apporte au Barça ?
26% des socios du FC Barcelone (sur un total de 143.000) sont des femmes, Nos femmes. Elles demandent à jouer, elles veulent jouer. Elles veulent que leurs filles, leurs sœurs ou leurs amis puissent jouer. Elles veulent aussi être présentes dans la société pour dire que les femmes aussi peuvent arriver à jouer au football, à avoir leur championnat, et leur part de voix dans la presse.
Quand verra-t-on une femme présidente du FC Barcelone ?
(rires) Je ne sais pas. Je crois qu’il y a encore du chemin à faire. D’abord amener beaucoup plus de femmes au conseil de direction du club, c’est un premier pas. Je crois qu’il faut le faire partout dans le monde, en politique comme dans les entreprises. Et bien sûr, j’espère qu’il y en aura une un jour.