Isabel Coixet est sans doute l’une des réalisatrices catalanes les plus reconnues dans le monde du 7e art. En 2018, elle est devenue la femme ayant obtenu le plus de prix Goyas de toute l’histoire. Elle s’est faite connaître de la scène internationale avec le drame Ma vie sans moi en 2003. De Barcelone à Hollywood, Isabel Coixet tourne des films en espagnol et en anglais, et se dit “avoir été hipster avant l’heure”. Portrait d’une réalisatrice engagée.
Née le 9 avril 1960 à Sant Adrià del Besós, en banlieue de Barcelone, Isabel Coixet a été bercée depuis sa tendre enfance dans le monde du 7e art. Dans une interview pour TCM en novembre dernier, elle raconte que ses parents l’emmenaient beaucoup au cinéma où travaillait sa grand-mère. Parfois, elle voyait “des choses qu’elle ne comprenait pas mais qui l’impressionnaient”, comme le film Isadora de Karel Reisz.
Elle passe à l’action lorsqu’elle reçoit en cadeau pour sa première communion une caméra Super 8 et commence ainsi à réaliser ses premiers films. À 14 ans, elle regardait déjà les longs-métrages avec un oeil de future réalisatrice: “je me souviens que je regardais Accident de Joseph Losey, j’étais concentrée sur comment bougeait la caméra d’un personnage à l’autre” a-t-elle confié.
Une carrière internationale
Avant de devenir réalisatrice, elle effectue une licence d’Histoire à l’Université de Barcelone et travaille dans l’univers de la publicité. La Barcelonaise a confié que ce monde lui a offert de nombreuses possibilités: “avec le cinéma j’ai gagné autant d’argent qu’un professeur de lycée (…). La publicité c’est un autre niveau. Ça te donne l’opportunité de voyager dans le monde entier et avec de grandes équipes. Lors du premier tournage de pub pour lequel j’ai travaillé, à 18 ans, le directeur de la photographie était John Alcott, celui de 2001, l’Odyssée de l’espace. J’ai essayé d’apprendre de tout ça ».
Isabel Coixet a toujours su ce qu’elle voulait: raconter une histoire avec des images. Son ami cinéaste Joan Potau est le premier à croire en elle et à l’aider dans sa réussite. En 1989, à l’âge de 28 ans, elle réalise son premier film: Demasiado viejo para morir joven. Elle obtient sa première nomination aux Goyas pour le Prix de la Meilleure Réalisatrice, la première d’une longue liste.
En 1996, elle met un premier pas dans le cinéma international en tournant son second long-métrage: Des choses que je ne t’ai jamais dites, le premier en langue anglaise. À cette époque, elle vit aux États-Unis avec son petit-ami américain. En 2002, elle rend hommage aux milliers de volontaires qui nettoient les plages du littoral galicien à cause des dégâts du naufrage du pétrolier Prestige, à travers le documentaire “Marea Blanca”. Mais il faudra qu’Isabel Coixet attende 2003 pour connaître le succès à travers le monde grâce à son film: Ma vie sans moi, salué par la critique. La même année, la Catalane sort également un documentaire: Viaje al corazón de la tortura, tourné à Sarajevo et Copenhague, durant lequel elle aborde la réhabilitation de victimes de torture. Le film gagne un prix au Festival de Cinéma des Droits Humains. Si Isabel Coixet a toujours eu un penchant pour les films dramatiques, elle montre à travers ce documentaire qu’elle sait s’impliquer autrement.
Au fil des années, la réalisatrice multiplie les films avec des acteurs reconnus et les récompenses
Elle obtient quatres Goya pour The Secret Life of Words en 2005. Trois ans plus tard, sort un film produit à Hollywood, Lovers avec Ben Kingsley et Pénélope Cruz. Depuis ses débuts jusqu’à aujourd’hui, elle a réalisé au total une vingtaine de courts-métrages et longs-métrages.
Le dernier en date: The Bookshop ou La librería en espagnol. Nominé cette année dans douze catégories, il rafle trois Goyas: meilleur film, meilleure réalisation et meilleur scénario adapté. Passionnée de littérature, Isabel Coixet a dédié ces prix à ceux qui aiment les livres, le cinéma et qui ouvrent encore des librairies.
Une timide engagée
Outre le cinéma et les livres, Isabel Coixet avoue apprécier l’émission de télévision First dates pour ne penser à rien, mais aussi le flamenco et les bonnes choses de la vie. Mère d’une fille de 20 ans, elle dit avoir les pieds sur terre malgré son succès et fait ses courses comme tout le monde au Lidl ou au Mercadona.
La Barcelonaise se définit comme une personne assez timide socialement, mais elle n’a jamais eu peur de s’exprimer. Ses films présentent souvent le même point commun: ce sont des histoires dramatiques où les femmes sont les protagonistes. Dans un entretien avec MujerHoy, elle aborde ce sujet. “Me centrer sur les femmes me vient d’une façon quasi organique, mais sur tous les types de femmes, pas seulement fortes. Ce truc de femmes fortes commence à me fatiguer. Je vois Wonder Woman et j’ai envie de rigoler, si c’est ça le prototype… Nous devons aspirer à être normales et à avoir des problèmes normaux. Moi je ne veux pas être une superhéroïne, je veux juste être égale aux hommes et si on me paye pareil c’est encore mieux” explique-t-elle.
Dans le journal El País, elle reconnaît que les femmes doivent faire plus de bruit pour se faire entendre. “Pour les femmes, quoi que nous fassions, il nous est plus difficile d’y arriver (…) Les femmes n’existent pas. Je parle dans tous les domaines” affirme-t-elle. La Barcelonaise n’hésite pas à prendre position ou à dire ce qu’elle pense sur d’autres sujets. En 2011, elle apporte son soutien au mouvement des Indignés à travers le manifeste « Un espoir partagé » (Una ilusión compartida en espagnol).
L’an dernier, la Catalane affirme être contre le référendum du 1er octobre sur l’indépendance de la Catalogne, tout en défendant la richesse du bilinguisme. Une position qui lui a valu des vagues d’insultes. Pour elle, le référendum “s’est fait comme dans le tiers-monde (…) tout a été absurde” et elle condamne l’usage de la force par la police espagnole. Fin octobre 2017, elle affirmait que les politiques ne savaient pas gérer le référendum légal, ceux de Catalogne comme ceux de Madrid, et qu’il faudrait les renouveler. “À Barcelone, aujourd’hui, il est très difficile de respirer et penser” confiait-elle.
Concernant son futur, la réalisatrice prépare actuellement son prochain film qui devrait sortir en 2019. Elisa y Marcela raconte l’histoire du premier mariage d’un couple lesbien en 1901 en Espagne. Les deux femmes qui s’aimaient passionnément ont pu se marier dans une église de la Corogne, en Galice, grâce au travestissement de l’une d’elle en homme. Un film très attendu par le public, les médias et les professionnels du 7e art. Une fois de plus, les femmes seront les héroïnes d’Isabel Coixet.