ANALYSE de Nico Salvado, fondateur d’Equinox.
2017. L’Espagne n’a pas réussi à empêcher le référendum le 1er octobre. La Catalogne n’a pas réussi à obtenir son indépendance le 27 octobre.
2018. Les deux camps ont l’impression d’avoir perdu la partie, et que l’autre équipe fut déloyale.
Les supporters de l’unité de l’Espagne considèrent que les indépendantistes sont des délinquants en puissance qui ne respectent aucune législation en vigueur. « Il n’y a plus que la loi de l’apesanteur que Carles Puigdemont n’ait pas violée » ricane Inès Arrimadas, cheffe de file de l’opposition au parlement catalan. Les indépendantistes voient l’Espagne constitutionnelle et ses défenseurs comme une bande de maraudeurs qui ne pensent qu’à assassiner la démocratie.
Depuis octobre 2017 personne n’a gagné. Les unionistes ne peuvent pas arrêter le mouvement séparatiste et sont stupéfaits de voir les indépendantiste remuer ciel et terre malgré amendes, peines de prison, exils et menaces. Le souverainisme catalan, malgré le dynamisme de ses supporters, ne peut pas imposer sa feuille de route unilatérale sur un État espagnol séculaire et enraciné dans l’Europe.
Ces deux animosités, rabâchées et ruminées jusqu’à la nausée depuis plus d’un an, s’affrontent avec des rubans jaunes, incarnation du malaise.
Le phénomène du ruban, au départ porté à la boutonnière par les indépendantistes, n’était pas censé monter à un tel niveau de tension. Certes des graffitis jaunes sont apparus sur les murs, trottoirs et routes de Catalogne. Mais Barcelone n’est-elle pas une ville où l’on affiche, tague, inscrit ses idées sur la voie publique depuis des décennies sans pudeur? Certes des communes comme Vic ont mis sur la place de la ville des cellules géantes pour s’enfermer comme les prisonniers catalans, diffusent des messages indépendantistes via les mégaphones de la ville, comme le Mu’adhdhin appelle à la prière musulmane. Mais les Catalans ne sont-ils pas un peuple démonstratif, méditerranéen dans sa façon de faire passer ses messages?
Ce qui était à la genèse de l’opération, un mouvement d’agitprop de plus, l’affaire des rubans jaunes a pris aujourd’hui une tournure, pesons les mots, dramatique.
Les tensions autour de la pause et du retrait des symboles sur la place publique sont traités avec la même importance cette année que le référendum l’an dernier. A la différence qu’en 2017 les deux camps pensaient que l’autre n’irait pas jusqu’au bout. Les unionistes croyaient que le gouvernement Puigdemont jetterait l’éponge avant la tenue du référendum. Les indépendantistes ne pensaient pas que la réponse policière et judiciaire des institutions espagnoles seraient aussi rapides et d’une telle intensité.
L’an dernier, l’affrontement était intellectuel et idéologique. Avec les nerfs à fleur de peau suite aux événements permanents, l’affrontement est intellectuel, idéologique et physique.
Bagarres sur les plages pour mettre et retirer les symboles, voiture folle qui fonce sur des croix jaunes, militante qui se fait casser le nez au parc de la Ciutadella, le tabou de l’agression physique se dissipe peu à peu.
L’affaire catalane a réussi un miracle que peu de pays dans le monde ont connu. Monter un conflit à une telle altitude, en organisant un référendum, des manifestations, des contre-manifestations, une déclaration d’indépendance, sans avoir à déplorer un blessé grave ou décès est prodigieux. Un luxe, qui pourrait prendre fin si la tension ne redescent pas.
Le gouvernement de Quim Torra, à qui incombe de maintenir l’ordre public, est conscient que la Diada du 11 septembre prochain, où traditionnellement des centaines de milliers de Catalans descendent dans la rue pour réclamer l’indépendance du pays, ne peut avoir lieu dans ces conditions.
Carles Puigdemont a d’ailleurs publié un communiqué où il demande à ses militants de ne pas agir si des personnes retirent les rubans jaunes de l’espace public. Le gouvernement socialiste espagnol semble également ne pas tomber dans les provocations coutumières de l’époque Rajoy.
Puisqu’ils sont dans l’opposition, la droite du Partido Popular et Ciutadans en profitent pour tenir des propos chocs en faisant monter la température.
Un drame dans les rues de Barcelone ferait immédiatement changer de nature le conflit catalano-espagnol.
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