Carles Puigdemont pense pouvoir revenir en Catalogne et récupérer la présidence. Les luttes de pouvoir transforment la politique catalane en un champ de ruines.
Il y a 3 ans, le grand public ne connaissait pas Carles Puigdemont. Il était le maire de Gérone, ville de 60.000 âmes dont il sortait rarement pour venir à Barcelone. L’ancien président n’appartient pas à la catégorie des politiques professionnels qui n’exercent que pour les avantages du poste. Il n’a pas cherché, lorsqu’il était maire, à gravir les marches du pouvoir quatre à quatre.
S’il est devenu président, c’est parce que suite aux élections de septembre 2015, le centre-gauche et centre-droit indépendantistes n’avaient pas obtenu un assez bon score pour former un majorité stable. Les ultra-indépendantistes de la Cup avaient la clé de l’investiture grâce à leurs 10 députés et ont alors choisi une personnalité à la hauteur de leurs attentes : l’acharné Carles Puigdemont.
Rester dans l’histoire
Devenir président de la Catalogne n’a jamais été une fin en soi pour Carles Puigdemont qui voulait plutôt entrer dans l’histoire comme celui qui aurait proclamé l’indépendance de la Catalogne. Ce qui explique que malgré tous les événements qui ont eu lieu depuis le fatidique mois d’octobre, Carles Puigdemont, infatigable, est encore en train de manœuvrer.
L’ancien maire de Gérone pense sérieusement possible, que se soit dans des mois ou quelques années, de revenir s’installer officiellement dans le siège présidentiel catalan. Les victoires judiciaires remportées par Puigdemont le rassurent : le juge Llarena s’est cassé les dents sur les justices belges et allemandes qui refusent d’extrader l’ancien président au motif que le délit de rébellion n’a pas été commis. Seul le motif de détournement de fonds publics pour organiser le référendum a été retenu par le tribunal allemand. Trop léger pour l’instructeur Llarena qui a préféré jeter l’éponge et retirer purement et simplement le mandat d’arrêt. Traduction : Carles Puigdemont est totalement libre de ses mouvements dans le monde entier, exception faite du territoire espagnol.
Actif
Carles Puigdemont, vraisemblablement, ne mettra jamais un pied en prison. Il va donc pouvoir se consacrer exclusivement à intervenir dans la politique catalano-espagnole. L’actuel mandataire de la Generalitat, Quim Torra est et restera aux ordres de Carles Puigdemont tout comme son groupe parlementaire -indispensable pour la stabilité gouvernementale- qui lui obéit au doigt et à l’oeil.
Carles Puigdemont avec son nouveau parti lancé cette semaine Crida Per la Republica (appel pour la république) veut être à la tête du mouvement indépendantiste unique, suivant le modèle du Parti National Ecossais.
Pour devenir le leader maximo de l’indépendantisme, Carles Puigdemont rencontrent deux forces opposantes. Sur sa droite, le parti PdeCat et sur sa gauche les républicains indépendantistes d’ERC.
Droite
Le Pdecat est le parti de centre-droite descendant de l’ancienne Convergencia, qui a dirigé la Catalogne pendant 40 ans avant de mourir sous les coups de la corruption et des divisions sur la ligne à suivre dans la feuille de route indépendantiste. Le congrès de refondation du parti célébré en 2015 a permis au secteur le plus modéré de prendre les rênes.
Carles Puigdemont est issu de Convergencia devenue Pdecat, et n’appartenant pas à la frange modéré dirigeant le mouvement, les frictions ont été nombreuses pendant le mois d’octobre. Puigdemont lors de sa présidence menant à la déclaration d’indépendance, pensait -à juste titre- que la direction du parti ne suivait pas sa ligne unilatérale et cherchait un accord avec le gouvernement espagnol.
En représailles, quand Carles Puigdemont monta sa liste électorale pour les élections du 21 décembre, il squeeza les responsables du PdeCat pour offrir les places de députés à des novices politiques sur sa marque Junts Per Catalunya. Cependant, n’ayant pas de structure administrative opérationnelle en décembre dernier, c’est le PdeCat qui a encadré légalement Junts Per Catalunya. La loi électorale attribue les subventions politiques du groupe parlementaire Junts Per Catalunya au PdeCat, tandis que Carles Puigdemont réclamait les sommes financières. Finalement, PdeCat et Junts Per Catalunya se sont partagé, non sans tensions, chacun la moitié des 4 millions d’euros annuels de subventions.
Ce week-end a lieu le congrés annuel du PdeCat. Puigdemont demande que le parti se fonde dans son nouveau mouvement Crida Per Catalunya. L’ancien président veut retirer toute autonomie politique au centre-droit catalan pour le contrôler. La direction (modérée) du Pdecat s’est effondrée et sera renouvelée aujourd’hui avec des proches de Carles Puigdemont. Depuis Berlin, l’ancien président a réussi à prendre d’assaut le principal parti de centre-droit catalan.
Gauche
A la gauche de Puigdemont, l’ambiance n’est pas meilleure. Entre 2016 et 2017, la droite et la gauche se sont partagé les ministères pour organiser le référendum et la déclaration d’indépendance. Durant ces longs mois, les indépendantistes étaient sous pression face au gouvernement de Madrid mais également en proie à des luttes intestines. La gauche et la droite séparatistes s’accusaient respectivement en coulisse de trahison, le premier qui descend du bateau et fait capoter le référendum est politiquement mort disait-on dans les sièges des deux partis indépendantistes. Les ministres se soupçonnaient les uns les autres d’être sur écoute.
Le chef de la gauche l’ancien vice-président Oriol Junqueras et Carles Puigdemont se détestent cordialement. Les proches de Junqueras enragent que Puigdemont soit parti en Belgique après la déclaration d’indépendance, ce qui a envoyé les ministres restants en Espagne directement en prison selon l’analyse de ERC. Au contraire les proches de Puigdemont pensent que Junqueras a voulu se donner « une image de Mandela martyr » en se faisant incarcérer.
ERC résistera à la main-mise que veut avoir Carles Puigdemont sur le camp indépendantiste.
Explosion
Ce mercredi 18 juillet, la situation a dérapé au parlement catalan. Le juge Pablo Llarena a prononcé la suspension des députés exilés et incarcérés. Carles Puigdemont, dans la liste des parlementaires frappés par la mesure, refuse que le parlement le destitue. Il argue que le parlement est souverain pour dicter qui doit siéger ou non, ce n’est pas le rôle d’un juge selon l’ex-président. La gauche indépendantiste n’est pas d’accord et accepte la décision du juge.
Pour trancher ce sujet, le groupe parlementaire de Carles Puigdemont a voté différemment du groupe ERC mercredi au parlement et bloqué la séance plénière. Les porte-paroles du groupe de Puigdemont en conférence de presse ont explosé contre leurs “alliés” de gauche. Le député Albert Batet a expliqué que son parti n’accepterait jamais la suspension de Carles Puigdemont et accuse la gauche de violer l’accord entre les deux formations indépendantistes, de chercher à faire alliance avec les socialistes et pointe du doigt le désir d’ERC d’évincer Carles Puigdemont. Le porte-parole de la gauche Sergi Sabrià a qualifié les amis de Puigdemont de menteurs.
Au cours de cet été politique suffoquant, l’indépendantisme attend avec impatience une bouffée d’air frais avec la Diada, la fête nationale catalane du 11 septembre où des centaines de milliers de Catalans descendront dans la rue pour réclamer la République. Dans la foulée aura lieu le procès des leaders actuellement incarcérés. Il est probable que l’année 2018 se terminera sur de nouvelles élections catalanes afin que chaque camp indépendantiste puisse se compter. Ines Arrimadas, la chef du parti anti-indépendance Ciutadans, regarde tous ces événements avec un large sourire.