On ne peut pas comprendre le conflit catalano-espagnol, sans prendre en compte la rivalité historique qui sépare la droite de la gauche indépendantiste. Retour sur une lutte à mort qui continue encore aujourd’hui et qui explique le blocage dans lequel se trouve la Catalogne.
Les « convergents » de droite et les « republicains » de gauche ont tous les deux un passé qui a marqué l’histoire du pays. Esquera Republica de Catalunya (ERC) est le plus vieux parti de Catalogne et d’Espagne. Le président d’ERC qui dirigeait la Catalogne en 1936 a été le premier à déclarer l’indépendance et a fini fusillé par les troupes du général Franco quelques années plus tard. De son côté la droite de Convergencia Democratica de Catalunya (CDC) a reconstruite la Catalogne après la dictature via le président Pujol qui est resté au pouvoir de 1980 à 2003. Lui aussi a connu les geôles franquistes durant la dictature. Arrivé aux affaires, il a obtenu de l’Espagne, un élargissement autonomique historique englobant la gestion de la police locale, d’une partie des impôts, des systèmes scolaires, culturels et de santé.
Monopole
De fait ERC et CDC revendiquent la gestion en monopole du souverainisme catalan. Le processus indépendantiste moderne a commencé en 2012 sous la houlette du président Artur Mas de CDC. N’ayant pas de majorité absolue au parlement, il a du négocier le soutien des députés d’ERC pour mener à bien la consultation indépendantiste du 9 novembre 2014. Miné par les coupes budgétaires de la crise économique et les affaires de corruption, Artur Mas a dû forcer ERC à mener une liste commune avec CDC en 2015 sous le nom de Junts Pel Si. Objectif : indépendance en 18 mois.
CDC et ERC au sein de Junts Pel Si n’ont pas obtenu de majorité absolue lors du scrutin de septembre 2015. En échange des députés nécessaires pour l’investiture presidentielle, la Cup a demandé la tête d’Artur Mas, jugé trop libéral. L’extrême-gauche a couronné Carles Puigdemont.
Répartis dans les différents ministères du gouvernement, la lutte entre CDC (devenue le Partit Democrata – PdeCat) et ERC continue de plus belle. Tout au long de la législature de 18 mois qui conduira à la déclaration d’indépendance, droite et gauche ne cessent de s’accuser mutuellement de trahison. Dans l’excellent Empantanados (Península) , l’ancien député proche de Podemos, Joan Coscubiela relate que le vice-président Oriol Junqueras (ERC) ne cessait d’appuyer sur l’accélérateur de la voiture indépendantiste, espérant qu’au dernier moment Carles Puigdemont (CDC/Pdecat) ne tire sur le frein à main, grillant au passage son parti. Or Puigdemont ne freina pas. Même dans le vertige de la déclaration d’indépendance, la lutte intestine continua. Dans son livre, Coscubiela, explique que lorsque Carles Puigdemont a voulu convoquer des élections parlementaires le 26 octobre pour éviter d’écraser la Catalogne sur le rocher de l’article 155, Oriol Junqueras est sorti publiquement pour annoncer que si la déclaration d’indépendance n’avait pas lieu, les ministres d’ERC quitteraient le gouvernement. Un coup de Trafalgar de Junqueras, qui avait assuré en privé à Puigdemont qu’il ne partageait pas l’idée de convoquer des élections, mais qu’il ne s’opposerait pas publiquement. Junqueras pensait à tort que Puigdemont ne ferait pas la déclaration d’indépendance et que cette fois-ci son parti était calciné. Jusqu’au boutiste, Puigdemont permit au parlement de déclarer la secession. Oriol Junqueras a fini en prison, Carles Puigdemont en exil.
Futur
Malgré ce cul-de-sac, la bataille ERC/Pdecat, ou Junts Per Catalunya comme l’a rebaptisé Carles Puigdemont, continue. Après la déclaration d’indépendance, ERC était donné largement gagnante dans les sondages pour le scrutin du 21 décembre. Mais Puigdemont coupa l’herbe sous le pied des républicains en présentant sa propre candidature. La figure présidentielle de l’homme de Gerone a réussi à lui donner l’avantage et faire démentir les enquêtes. Contre toute attente ERC perdit le scrutin. La liste de Carles Puigdemont est arrivé en tête des formations indépendantistes, mais a besoin des députés d’ERC pour gouverner. 110 jours après les élections, il n’y a toujours pas de gouvernement. Contre l’avis d’ERC, Carles Puigdemont a demandé à de nombreuses reprises de pouvoir être président depuis son exil à l’étranger. ERC ne veut plus de martyrs et n’a pas l’intention de désobéir aux tribunaux espagnols qui estiment qu’une présidence à l’étranger viole la constitution espagnole. En réponse, le camp Puigdemont a tenté de faire investir Jordi Sanchez, ancien président de l’association indépendantiste ANC qui est actuellement incarcéré à Madrid. Sans succès. Des épisodes qui provoquent des tensions chroniques entre Junts Per Cat et ERC. Si, avant le 22 mai prochain, Carles Puigdemont ne présente pas un candidat de son mouvement pouvant être légalement investi président, la loi prévoit que le parlement sera dissout automatiquement et de nouvelles élections prévues pour le 15 juillet. Selon ses proches, un scrutin qui ne fait pas peur à Carles Puigdemont et qui pourrait lui permettre de terrasser définitivement ERC. Sisyphe était peut-être catalan.