Carles Puigdemont hésite entre laisser sa place à son successeur afin de former un gouvernement mettant fin à l’article 155 ou au contraire forcer de nouvelles élections.
Carles Puigdemont est peut-être en train de vivre ses derniers jours en tant que président symbolique de la Catalogne. Son entourage préfère le terme de président légitime. Quoi qu’il en soit, c’est Carles Puigdemont qui reste maître de son destin et choisira quelle voie doit emprunter la Catalogne. Soit il accepte de passer la main et les députés investiront le 132e président de la Catalogne la semaine prochaine. Soit il bloque la nomination de son successeur et comme le prévoit la Constitution espagnole, faute de président, le parlement catalan sera automatiquement dissous le 22 mai et des nouvelles élections parlementaires seront organisées le 15 juillet. Dans ce cas-là il n’y aura probablement pas de gouvernement catalan avant le mois de novembre et l’article 155 restera en place.
Choc
Si Carles Puigdemont a un pouvoir de blocage aussi important, c’est qu’il a eu l’intelligence politique de choisir lui-même les candidats de sa liste qui sont devenus ensuite députés après les élections du 21 décembre. Résistant aux pressions de son propre parti le Pdecat qui voulait imposer des candidats issus du mouvement, Puigdemont a choisi des personnes sans expérience politique qui aujourd’hui lui doivent tout. C’est avec ce groupe d’une trentaine de députés que Puigdemont peut imposer sa ligne et son tempo.
Depuis qu’il a choisi la voie de l’exil, l’ancien président a un objectif principal : causer le plus de dégâts possibles aux institutions espagnoles. Puigdemont à Bruxelles, Berlin, Genève, Helsinski tient les mêmes propos : l’Espagne est un pays arriéré, démocratiquement faible et rongé par un franquisme politique qui n’a jamais vraiment disparu. Une internationalisation du processus indépendantiste qui a porté ses fruits. L’opinion publique que ce soit en Belgique ou en Allemagne est attentive. Les institutions sont relativement réceptives aux manœuvres de l’homme de Gérone. La grande inconnue réside dans un éventuel geste d’Angela Merkel demandant au Conseil de l’Europe une médiation officielle pour mettre un terme au conflit catalano-espagnol.
Fureur
Le gouvernement de Mariano Rajoy conjointement avec l’intelligentsia madrilène enragent de cette internationalisation à marche forcée. Une des dispositions majeures lors de la mise en place de l’article 155 fut de démanteler Diplocat, l’agence « diplomatique » de la Catalogne. Cette semaine, le préfet de Catalogne Enric Millo a averti que le 155 ne serait pas levé au sein du ministère des Affaires étrangères catalan si le nouveau gouvernement tentait de remettre en place Diplocat.
L’Espagne a fait son maximum, pour tenter de mettre Carles Puigdemont hors d’état de nuire, avec les demandes d’incarcération et d’extradition. Dans l’attente de la décision du tribunal allemand, les nerfs sont à vif. En cas d’abandon des charges, l’ancien chef de l’exécutif catalan serait libre de ses mouvements dans toute l’Europe. D’où l’hésitation de Carles Puigdemont.
S’il autorise ses députés à voter pour un nouveau président, l’attention médiatique faiblira, il perdra son auréole de président symbolique. Les secteurs les plus jusqu’au-boutistes qui entourent Puigdemont pensent qu’il ne sert à rien de former un gouvernement qui sera surveillé par Madrid. Qu’un retour à la normale fera oublier les effets de la déclaration d’indépendance du 27 octobre. En déclenchant de nouvelles élections catalanes, l’attention serait mise sur le fait que le gouvernement espagnol ait empêché Puigdemont d’être investi président, alors qu’il fut à la tête de la liste indépendantiste ayant reçu le plus de suffrages lors du scrutin du 21 décembre. Dans ce sens, le parlement débattra aujourd’hui de la modification de loi de présidence qui permettrait une investiture à distance. Un texte qui sera automatiquement annulé par le Tribunal constitutionnel espagnol sur demande du gouvernement central.
Chute
La non-formation d’un gouvernement poserait par ailleurs des difficultés à Rajoy dans le cadre de la politique intérieure. Le Partido Popular de Mariano Rajoy ne disposant pas de majorité absolue, un attelage branlant composé de Ciutadans et des nationalistes basques a été monté pour apporter les voix nécessaires à l’adoption du budget général de l’État espagnol. Sans ce vote crucial qui aura lieu fin mai, Rajoy serait fragilisé au point de devoir convoquer des législatives espagnoles anticipées. Et en raison de l’article 155 de la constitution qui est toujours en vigueur en Catalogne, le Parti National Basque refuse de voter le budget général de l’Espagne.
Les Basques qui flirtent avec le désir indépendantiste se veulent solidaires de la Catalogne. Parallèlement, ils ont l’envie de voter ce budget 2018 qu’ils ont négocié avec Mariano Rajoy, et dans lequel les avantages fiscaux sont nombreux pour leur région. Une tentation redoutable pour Puigdemont : pas de gouvernement en Catalogne, le maintien de l’article 155, pas de vote du budget et la chute de la maison Rajoy.
Cependant, les forces politiques catalanes pressent Puigdemont de passer le relais. Le Pdecat d’Artur Mas, la gauche indépendantiste ERC, les politiques en prison et la majorité des médias catalans demandent un nouveau gouvernement afin de stopper le 155. De nombreux projets publics sont en pause, faute de financements que doit débloquer un nouveau gouvernement, ce qui exaspère une partie de l’intelligentsia catalane. Elsa Artadi, la nouvelle égérie indépendantiste, tient en ce moment la cote pour devenir la prochaine présidente. Carles Puigdemont a promis que ce week-end il rendrait public le nom de son successeur.
Mais c’est bien connu, en politique, les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent. A l’analyse de la personnalité de Puigdemont et de sa manière d’agir, s’il veut qu’un nouveau vote ait lieu, il est facile de communiquer sur une nouvelle élection. « Je laisse à Mariano Rajoy jusqu’au 22 mai pour permettre mon investiture. Si Mariano Rajoy ne respecte pas le résultats des élections du 21 décembre en me laissant redevenir président, il y aura une nouvelle élection et ça sera de sa faute. »