Connus aussi sous le nom de call centers, les centres d’appels embauchent massivement et rapidement les Français qui s’installent à Barcelone. Si certains apprécient les salaires attractifs et les opportunités, d’autres ont vécu leur emploi comme une descente aux enfers. Reportage.
« J’entendais des appels pendant que je dormais la nuit » raconte Carla. Comme des milliers d’expatriés à Barcelone, cette Française de 40 ans a travaillé dans un centre d’appel en arrivant dans la capitale catalane. “Au bout de cinq mois dans mon entreprise, j’ai pété les plombs. J’avais fait beaucoup d’heures supplémentaires, je faisais tous mes objectifs de vente mais ce n’était jamais assez pour mon manager, et j’étais en burn-out total, je prenais jusqu’à 130 appels par jour ». Carla finira en arrêt maladie de longue durée. A son retour, six mois plus tard, ses supérieurs sont furieux. « L’entreprise a voulu se venger, on m’a carrément dit “on va t’harceler”! J’étais tellement stressée que j’ai fait un malaise devant les ascenseurs. Une responsable est venue me chercher pour m’offrir un verre d’eau en salle de repos, je me suis mise à pleurer et à ma grande surprise, elle m’a demandé si je voulais reprendre des appels. J’ai dit que j’irai plutôt aux urgences médicales ». Résultat: nouvel arrêt maladie. « Ce n’était pas le travail en lui-même, mais je ne supportais plus du tout l’environnement, c’est-à-dire l’infantilisation et le flicage ». Pauses pipi chronométrées, scripts à répéter rigoureusement des centaines de fois par semaine, appels écoutés au hasard et en douce par les chefs, retards de plus de 2 minutes sanctionnés, managers sous pression qui mettent la pression à leurs équipes. Pourtant meilleure vendeuse de son équipe, Carla finira par démissionner.
Des entreprises et marques du monde entier passent par des call centers à Barcelone pour sous-traiter plusieurs services, afin de gagner du temps et de l’argent. Elles trouvent dans la capitale catalane de très nombreux profils internationaux disposés à travailler à la chaîne pour payer leur vie au soleil. Plusieurs Français admettent qu’il est parfois difficile de gérer la pression. Commercial, relations clients, service après-vente ou technique, les centres d’appels se caractérisent par leur diversité de postes et de secteurs d’activités. “Mon emploi précédent consistait à vendre au moins quatre cartes de crédit par jour, à des Belges qui étaient déjà dans la misère. Je suis tombé dans l’alcool pour ne pas avoir conscience de ce que je faisais, témoigne Pierre, ma première chef faisait exprès de faire peur, créer de la compétition entre les employés. Elle a fini par être virée. Aujourd’hui, je suis heureux de mon poste actuel dans un autre call center qui fait de l’assistance, où je ne me prends pas la tête et où je me sens plus utile.”
Raphaël, étudiant de 23 ans, a tenu un mois dans un projet qui consistait à commercialiser des produits surgelés à des particuliers par téléphone. “Les responsables nous rabâchaient “vous êtes vendeur et pas menteur” mais la réalité était tout autre. On ne devait pas dire d’où provenait réellement le poisson pêché, par exemple. Le tout dans une ambiance horrible, où mes collègues étaient déprimés et devenaient hystériques à la moindre vente” explique le jeune Français qui ne souhaite pas renouveler l’expérience.
Une opportunité de carrière
Si certains n’y restent que quelques mois, d’autres Français font carrière dans les centres d’appels. “Passionné de management depuis mes études, j’ai pu rapidement devenir team leader (chef d’équipe), explique Julien, 25 ans, qui travaille dans un call center depuis son arrivée sur Barcelone, c’est pour moi un tremplin pour d’autres postes plus attractifs. Un team leader développe rapidement des capacités professionnelles et apprend aussi énormément sur soi-même” raconte-t-il.
Samuel Loye, 40 ans, a lui connu aussi une success-story : « quatre mois après mon embauche, je suis passé senior agent de l’équipe ibérique. Je parlais à peine espagnol mais je réussissais à me faire comprendre par mon équipe en anglais. Puis un an plus tard, j’ai été promu superviseur pour l’ouverture du call center de la marque à la pomme. J’ai passé neuf ans dans cette entreprise, en terminant responsable de programme spécialisé dans le service client et la vente sur le canal digital ». Le turn-over dans les call centers étant particulièrement important, ceux qui restent peuvent accéder rapidement à des postes à responsabilités.
« Le call center, c’est la jungle »
Quentin Ghesquiere travaille depuis 18 ans dans le secteur des centres d’appels à Barcelone. “Je suis prof d’anglais de formation, je ne voulais plus enseigner et ce secteur recrutait sans formation. Je travaille actuellement dans un call center pas trop mal, les avantages sociaux aident à supporter le reste.” raconte-t-il. Il a fait des conditions de travail son cheval de bataille. Il y a neuf ans, il a monté le comité d’entreprise de son centre d’appel, avant d’en devenir le président. “Je suis syndicaliste UGT, je suis présent aux côtés de mes collègues tous les jours pour les aider et les accompagner. Avec 35 nationalités différentes dans mon entreprise, très peu connaissent les lois et parlent bien espagnol. Souvent, ils n’osent pas s’exprimer de peur d’être viré.”
Barcelone ne serait toutefois plus le même eldorado pour les centres d’appels. “Les call centers bougent d’un pays à l’autre et en ce moment l’Espagne coûte plus cher que le Maroc, la Roumanie ou l’Inde, ma boîte délocalise actuellement vers l’Inde. Donc les employés sont licenciés, nous sommes passés de presque 700 employés il y a deux ans à moins de 500 en avril. On se bat pour sauver nos emplois, puis si on ne peut pas, on négocie la meilleure indemnité de licenciement possible. Le call center, c’est la jungle” conclut-il.