Santi Vila est l’unique ministre du dernier gouvernement de Carles Puigdemont qui a démissionné avant la déclaration unilatérale d’indépendance (DUI). Il sort un livre choc qui raconte les derniers jours précédant la proclamation d’indépendance : héroes y traidores.
Santi Vila sort aux éditions Península y Pòrtic le récit des derniers jours avant la déclaration d’indépendance tels qui les a vécus. Dans De héroes y traidores, le Barcelonais dénonce les manichéismes que traversent les sociétés espagnoles et catalanes. Pour lui, il n’y a ni traître, ni héros de la cause indépendantiste. En tous cas, ceux qui font partie d’une des deux catégories aujourd’hui pourraient voir leur titre requalifié par l’Histoire lors des prochaines années.
Dans son ouvrage, Santi Vila renvoie dos à dos Mariano Rajoy et Carles Puigdemont. Le premier pour son absence de dialogue, le second pour son unilatéralisme. Le livre raconte les coulisses des négociations entre les membres du gouvernement et les entités associatives lors des derniers jours avant la proclamation d’indépendance. Les tensions entre Puigdemont et son vice-président Oriol Junqueras. Les indécisions chroniques de ces deux responsables gouvernementaux qui oscillaient chaque jour entre convoquer des élections parlementaires pour éviter l’application de l’article 155 ou faire le grand saut dans le vide qu’était la déclaration d’indépendance.
Santi Vila a quitté ses fonctions au dernier moment. La veille de la fatidique proclamation, ce qui a valu à l’ancien titulaire du portefeuille des entreprises et du commerce au sein de l’exécutif catalan d’être qualifié de traître. Vila n’a jamais caché son appartenance au groupe des souverainistes modérés, ces Catalans qui sont pour un large renforcement des compétences politiques de la Catalogne au sein de l’Espagne et qui envisagent pour certains l’indépendance de la Catalogne à long terme, après un processus progressif de plusieurs dizaines d’années.
Ce qui est surprenant, dans le cas de Santi Vila, ce n’est pas tant sa démission avant une DUI mais sa présence dans le gouvernement le plus indépendantiste de l’histoire de la Catalogne. En juillet 2017, face au jusqu’au-boutisme de Carles Puigdemont les ministres les plus frileux (Porte-Parole, Enseignement, Intérieur, Commerce, Culture) quittèrent le gouvernement. Santi Vila, lui, fit le choix de rester. Il explique son geste par le désir d’utiliser sa fonction de ministre pour tenter de dialoguer avec le gouvernement de Mariano Rajoy jusqu’au dernier instant. Ce professeur d’histoire moderne a effectivement ses entrées à Madrid. C’est un très bon ami de la présidente conservatrice du parlement espagnol Ana Pastor.
Vila défend la thèse qu’à part quelques illuminés, la majorité des ministres du gouvernement Puigdemont voulaient taper du poing sur la table avec le référendum du 1er octobre. Beaucoup pensaient que Mariano Rajoy céderait après le scrutin en permettant dans les mois qui suivraient un référendum légal ou au moins une réforme budgétaire améliorant le financement de la Catalogne. Quasiment aucun indépendantiste sérieux ne pensait fonder une République catalane le 2 octobre, insiste Vila.
La nuit décisive
Dans la nuit du mercredi 25 au jeudi 26 octobre, grâce à la médiation du président basque Iñigo Urkullu, des responsables socialistes et de Podemos, Carles Puigdemont, dans la douleur et les cris, a pris sa décision : il n’y aura pas de DUI mais les Catalans seront appelés aux urnes dans la légalité constitutionnelle espagnole. Pour ne pas signer un décret de convocation d’élections en pleine nuit, qui pourrait donner une impression de branquignol, Puigdemont remit la déclaration officielle au lendemain première heure.
A 9h, le jeudi 26 octobre, la presse est convoquée au Palau de la Generalitat pour annoncer que le parlement était dissous et des élections organisées. A Madrid, silence radio. Mariano Rajoy refuse de confirmer que l’article 155, qui devait être voté au Sénat le lendemain, ne sera pas appliqué si Puigdemont abandonne la DUI. Rajoy fait le mort. La place Sant Jaume, siège du gouvernement, prend vie se remplissant de manifestants indépendantistes hostiles à Puigdemont. Les réseaux sociaux débordent de haine à l’encontre du président catalan qui est accusé de traître, des parlementaires indépendantistes accablent Puigdemont. Oriol Junqueras menace de démissionner du gouvernement. Chaos. La pression est trop forte pour Carles Puigdemont qui change d’avis et ordonne au parlement catalan de déclarer solennellement la sécession.
Ecueils
Le livre de Santi Vila se lit facilement. Il n’échappe cependant pas aux deux écueils propres à ce genre d’exercice : il parle énormément de lui, en vantant son curriculum vitae toutes les trois pages, et balance des piques aux responsables politiques contemporains. Marta Rovira, numéro deux du parti de gauche indépendantiste ERC, est décrite comme une hystérique fanatisée et l’ancien vice-président Oriol Junqueras comme un versatile maladif. Nul doute que ces deux personnalités manifestent ces traits de caractères. Malheureusement, le buzz médiatique du livre de Vila s’est fait autour de ces petites phrases dont il est effectivement facile de se délecter. Mais la richesse de l’ouvrage de l’ancien ministre est ailleurs, et du coup on en parle moins.
Santi Vila se veut le héraut du centrisme souverainiste catalan qu’a incarné le président Jordi Pujol durant trois décennies. Vila veut être ouvertement l’héritier de Jordi Pujol.
Le mouvement politique CiU fondé par Pujol, dirigé par Artur Mas et tué par Carles Puigdemont, doit avoir un avenir. Et ce futur, Santi Vila se voit bien le dessiner. Le livre est un réquisitoire contre la Cup, l’extrême-gauche indépendantiste. Vila ne comprend pas que des ministres comme Josep Rull ou Jordi Turull qui ont été bercés dans le centre-droit de CiU soit si enthousiastes envers la Cup. « L’extrême-gauche révolutionnaire veut couper nos têtes de centristes et les membres de l’ancienne CiU les y encouragent » se désole à longueur de page Santi Vila.
L’autre ennemi de Santi Vila est le nationalisme sectaire, qu’il soit catalan ou espagnol. On revient donc à la formation du mouvement CiU dans les années 80 et qui a conduit la Catalogne à la gloire financière et institutionnelle. La règle de Jordi Pujol était alors claire : notre parti centriste accueille tout le monde, sauf les communistes, l’extrême gauche et l’extrême droite, et nous serons foncièrement européens. La Catalogne sera une nation mais à l’intérieur de la nation espagnole.
C’est aujourd’hui la proposition de Santi Vila : réhydrater l’oasis catalan au milieu de la terre brûlée qu’est devenue la Catalogne.