« Il ne voulait pas embaucher une noire » : ces Africains face au racisme à Barcelone

Entre invisibilisation, discrimination et impossibilité de se sentir chez soi, s’installer à Barcelone quand on vient d’Afrique (ou que l’on est Afro descendant) relève bien souvent du parcours du combattant. Témoignage de ces amoureux de la Catalogne, parfois à sens unique.

« Le jour de la signature du bail, le propriétaire demandait un autre rendez-vous et disparaissait dans la nature » témoigne Viviane, originaire de Douala au Cameroun, et passée par Paris et Bruxelles avant de poser ses valises en Espagne après être tombée sous le charme de Barcelone. À son installation, cette quadragénaire pétillante s’est heurtée à un mur en constatant que son expatriation serait bien plus complexe que pour ses contemporains non-racisés. 

Dès son arrivée, la jeune femme prend des cours d’espagnol et de catalan, décroche son examen niveau C2 pour les deux langues, trouve un travail, et dans la foulée, une coloc à l’Hospitalet. Mais à chaque étape, une nouvelle embûche. « Après avoir envoyé mon CV, j’avais un recruteur ravi, au téléphone, mais un peu moins, face à face, je le percevais dans son regard. Il n’était pas prêt à engager une femme noire. » conclut Viviane. Idem côté logement où les propriétaires se montrent réticents à peine réalisent-ils la couleur de sa peau.

Yoann, Martiniquais, qui vit entre Paris et Berlin et connaît l’Europe comme sa poche, témoigne lui aussi de ce racisme ordinaire. De passage à Barcelone, il confesse  « Je n’ai pas dépassé ma période d’essai dans une compagnie aérienne pour une question de différences culturelles… En soi, clairement à cause de ma couleur de peau. » Le jeune homme fait l’amer constat qu’ « il n’y a pas de pays-refuges dans une Europe grignotée par les ténèbres, sur laquelle plane la menace de l’extrême-droite. » 

Viviane expat en Espagne Yoann globe trotteurÀ gauche : Viviane, expatriée à Barcelone depuis 17 ans. À droite, Yoann, globe-trotteur.

L’impossibilité de se sentir chez soi

La Camerounaise, elle a le mal du pays. Quand les Anglais, Français, Italiens, Américains peuvent se ressourcer dans une épicerie ou un resto bien de chez eux à Barcelone, ce n’est pas forcément le cas pour les Africains. Ils seraient en effet quatre fois moins en Espagne qu’en France, ce qui s’explique notamment par un passé colonial plus tourné vers l’Amérique latine pour l’Espagne et pour une question évidente de langue.

Contrairement à Paris, la capitale catalane n’est pas très ouverte aux saveurs du continent noir. « À part une boutique sénégalaise à Collblanc, il n’y a pas du tout autant d’offres qu’à Paris ou à Bruxelles par exemple. D’ailleurs, je profite de mes voyages là-bas pour faire le plein ! » affirme Viviane avec une pointe d’agacement. Après trois ans, elle finira par décrocher le graal : un CDI dans un call center et un appartement à Nou Barris.  

Philosophe, elle refuse de se désespérer face aux préjugés de certains. Pour elle, la fermeture d’esprit et le racisme sont liés à de l’ignorance, plus qu’à de la méchanceté. « Pour beaucoup de gens ici, je viens d’Afrique, ce qui ne veut pas dire grand-chose. C’est comme si je résumais la Catalogne à l’Europe, pas sûre que les locaux le prennent très bien » s’agace-t-elle.

À l’instar de Viviane qui a fait des années de bénévolat à la CODAF, le centre de coopération interculturelle de femmes africaines, Yoann est un personnage solaire qui donne de lui pour aider les autres, notamment de la lecture dans les hôpitaux. Il ricane un peu jaune en précisant que c’est toujours les plus précaires qui se mobilisent et que « c’est tout simplement épuisant devoir être politisé à son issue et de lutter encore sur des choses pour lesquelles on se dit qu’elles ne changeront jamais, voire qu’elles s’empireront. Alors on se dit qu’il faut rentrer dans les rangs, passer inaperçu et tenter de passer entre les mailles du filet. »

D’Instagram aux planches : le fabuleux destin de WizProblema

Une stratégie d’invisibilisation que ne partage pas l’humoriste WizProblema, bien décidé à faire entendre sa voix. Ce Gambien installé depuis de nombreuses années à Barcelone, utilise son sens de l’humour pour donner vie à une multitude de personnages hauts en couleurs : de l’ami catalan en vacances à Madrid, au moniteur de conduite gitan, en passant par la tata dominicaine et la maman marocaine.

Ses vidéos cartonnent sur Instagram et TikTok et prouvent qu’avec une bonne dose d’auto-dérision, une sacrée capacité d’observation et une pincée d’absurde, il est possible de faire rire jusqu’au plus coincé des Catalans. Il est d’ailleurs en ce moment en tournée dans toute l’Espagne pour son one-man-show : Multiverso. Il regrette toutefois dans une interview que lorsqu’un inconnu s’adresse à lui, il le fasse presque toujours en castillan alors qu’il aimerait qu’on lui parle en catalan, lui qui fait rayonner la langue de Gaudi auprès des plus jeunes et des primo-arrivants.

@wizproblema

♬ original sound – Wizproblema

En dépit de tout, Viviane reste une amoureuse de l’Espagne. « En sortant de l’Alhambra, j’avais l’impression d’avoir été transportée au Maroc. Et, de Malaga, on peut voir les côtes africaines… » Tandis que la végétation luxuriante pleine de palmiers et de bougainvilliers lui rappelle plus son Cameroun natal que les champs de betteraves rabougris de région parisienne. Sans compter qu’avec près de 700 ans d’occupation maure, l’Espagne ne serait-elle pas finalement le plus africain des pays d’Europe ?

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