Les démarcheurs à Barcelone semblent se montrer de plus en plus tenaces avec les passants dans la rue. Des habitants nous racontent leurs mésaventures, mais est-ce bien légal ?
Photo : Clementine Laurent (Equinox)
Avant de venir m’installer à Barcelone, j’y suis venue faire un stage en 2019, dans un monde arc-en-ciel encore vierge de coronavirus et de menaces de troisième guerre mondiale. Un jour de ce monde paisible, en me promenant près de la Rambla, je me fais alpaguer par un démarcheur tout droit sorti de chez Greenpeace. La pigeonne que je pouvais parfois être alors (j’espère ne plus tomber dans le panneau…) ne comprend pas tout de suite et au bout de quelques phrases, je lui donne mon NIE, comme si c’était la chose la plus normale à faire. Je me souviens même que ce jeune homme s’est gentiment foutu de moi car je ne connaissais (à l’époque) pas mon NIE par cœur.
Bref, il continue de me poser quelques petites questions toute innocentes… Et enfin (il faut le temps que la pièce tombe, parfois…) je comprends qu’il est en train de prendre toutes mes données et de remplir un formulaire à mon nom. Ne lui manque plus que mon compte en banque et il aura trouvé la meilleure pigeonne de sa journée. Je le recadre gentiment et lui dis que je ne peux pas me le permettre, et je repars la queue entre les jambes, bien honteuse de ma propre bêtise.
Cette expérience, de nombreux habitants de Barcelone l’ont déjà vécue. Peut-être même vous, sauf si vous avez un peu plus de jugeote que moi, ce que je vous souhaite bien sûr. Mais certains relatent des mésaventures un peu plus… rocambolesques. C’est le cas de Michael, un Américain qui vit à Barcelone depuis quatre ans. Une journée, tard dans l’après-midi, il sort de la station de métro Arc de Triomf. « Non pas un, mais deux jeunes hommes m’ont abordé en l’espace de 30 secondes. Tous les deux voulaient que je signe une sorte de pétition. Mon espagnol étant limité, je leur ai simplement dit non merci et j’ai continué mon chemin. » Jusque-là, rien d’anormal.
Avis aux passants : les démarcheurs à Barcelone se font apparemment plus présents aux abords des sorties de métro. (Equinox)
« Cependant, quelques heures plus tard, alors que je retournais à la même station, une autre personne a essayé de me bloquer alors que j’entrais depuis la rue. J’ai tenté de passer rapidement à côté de lui, mais il s’est déplacé rapidement devant moi et a lancé le classique : « J’ai une question ! » J’ai répondu non, et alors que je me faufilais pour passer, il m’a attrapé par la manche au niveau du coude. Ce n’était pas un geste agressif, mais mon instinct de New-Yorkais a pris le dessus. J’ai violemment retiré mon bras et crié : « Ne me touche pas! » Il m’a regardé comme si j’étais fou. Je suis repassé par cette station de métro quelques jours plus tard. Cette fois, il y avait deux jeunes femmes et deux jeunes hommes. Les deux hommes se précipitaient devant chaque personne qui entrait, leur barrant le passage et les forçant à les contourner avant de pouvoir avancer. » Une bien étrange façon de faire signer des pétitions, on en convient. Mais qui ne serait pas si rare, à en croire d’autres témoignages.
« Je rencontre ce genre de situations, ainsi que de nombreuses autres formes de transgressions, très souvent avec les démarcheurs à Barcelone », nous dit Ava. « Ils utilisent souvent le même prétexte de « l’ami » ou toute autre excuse bidon pour approcher les gens. Qu’est-ce qui leur fait penser que c’est acceptable à Barcelone ? Peut-être le fait que les pickpockets et les voleurs ne sont pas poursuivis. Et à partir de là, d’autres formes de criminalité ne le sont pas non plus », se plaint-elle.
« Je leur parle toujours en anglais et fais semblant de ne pas comprendre – ça semble suffire », indique pour sa part Claire. On mentirait si on disait qu’on n’a jamais essayé cette tactique, mais les rabatteurs sont parfois tenaces. Joseph, qui a vécu la situation autant à Rome qu’à Barcelone, explique que « s’ils m’approchent, je leur parle dans un japonais bidon ». On y pensera à l’avenir. « Après avoir signé, ils te demanderont de faire un don pour soutenir leur soi-disant pétition. Les plus agressifs insisteront pour que tu donnes encore plus, toujours plus », se plaint-il. Le conseil de Paul nous pousse un peu plus loin : « Ne jamais s’arrêter. Nulle part dans le monde ! » Un peu radical, peut-être.
Démarcheurs à Barcelone : que dit la loi ?
On s’amuse, mais tout cela peut prendre une tournure bien plus grave si on franchit certaines limites. Car si le démarchage en lui-même n’est pas interdit, certaines pratiques peuvent enfreindre la législation espagnole. « Les démarcheurs doivent respecter les lois sur l’ordre public et les libertés individuelles », rappelle le cabinet d’avocats Conesa Legal. « Des comportements comme entraver le passage ou toucher une personne sans son consentement pourraient être considérés comme une atteinte aux droits fondamentaux protégés par la Ley Orgánica 1/1982 sur l’honneur, la vie privée et l’image des individus. »
Dans les cas les plus graves, des sanctions pénales peuvent être envisagées. « Si un démarcheur use d’intimidation ou d’agressivité verbale, il pourrait être poursuivi pour injures ou harcèlement, conformément au Code pénal espagnol », précise Conesa Legal. « Cela peut aller d’une simple amende à une peine d’emprisonnement dans les cas extrêmes. »
Les règles sont encore plus strictes dans le métro, où les autorités des transports publics interdisent les comportements perturbant la circulation des voyageurs. À bon entendeur, si vous croisez le chemin d’un rabatteur un peu trop tactile à Barcelone…