Violences sexistes et sexuelles : une Espagne schizophrène ?

Equinox Barcelone femmes inégalités

Chaque semaine, Equinox laisse ses colonnes à une personnalité francophone de Barcelone ou à un membre de la rédaction pour une tribune libre. Et c’est Lucille Souron, journaliste société et culture au sein de la rédaction, qui prend la plume aujourd’hui. 

Le 28 mars, le très renommé festival Series Mania de Lille couronnait Querer, une série espagnole, meilleure production internationale. Réalisée par la Basque Alauda Ruiz de Asúa, Querer déploie en quatre épisodes le long combat judiciaire de Miren, qui, après 30 ans de vie conjugale, accuse son époux de viols répétés. Une plongée dans les rouages de la justice et les engrenages d’un climat familial angoissant qui permet à de tels crimes d’exister.

Le même jour, à Barcelone, le Tribunal Supérieur de Justice Catalan (TSJ) acquittait l’ex-footballeur du FC Barcelone Dani Alves d’agression sexuelle. Clôture d’une affaire débutée en janvier 2023, lorsque une jeune femme de 23 ans avait porté plainte contre le Brésilien, l’accusant de l’avoir violée en décembre 2022 dans les toilettes d’une boîte de nuit huppée de Barcelone.

Deux histoires, l’une fictive, l’autre bien réelle, mais une même conclusion : le combat ô combien douloureux des femmes face aux violences sexistes et sexuelles.

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Le cas Alves aurait pu tenir du scénario bien ficelé d’un thriller judiciaire. La justice l’avait d’abord déclaré coupable, estimant que ses versions changeantes des faits le desservaient. En février 2024, il écope de 4 ans et demi de prison, mais fait appel, tout comme le parquet, qui souhaite alourdir la peine. Le verdict final est une douche froide : acquittement. En cause ? Un « manque de fiabilité » du témoignage de la plaignante et l’absence de preuves suffisantes. Comme si, à force de batailler, la justice espagnole avait fini par baisser les bras.

« Manque de fiabilité » : une formule qui, en filigrane, dit que la victime n’a pas eu la bonne attitude. Qu’elle n’a pas semblé assez apeurée sur les images de vidéosurveillance. Qu’on l’a vue danser avec l’accusé. Des arguments qui font écho à un classique du patriarcat judiciaire : la suspicion systématique envers la parole des femmes.

Pendant ce temps, Querer, série venue du « plus féministe des pays d’Europe », interroge avec justesse les mécanismes de domination patriarcale. Dans la fiction, l’héroïne perd tout : privilèges économiques, liens avec ses enfants, stabilité émotionnelle.

Dans la réalité, la victime de Dani Alves a, elle aussi, tout perdu. Certes, elle a obtenu une compensation financière, mais à quel prix ? Son anonymat brisé, son passé scruté, ses réactions disséquées. Lors du procès, un montage vidéo la montrant en soirée a circulé sur les réseaux, sous-entendant qu’elle n’était pas vraiment affectée par les événements. Faudrait-il sombrer dans la dépression la plus totale pour être crue ?

L’Espagne aime se présenter comme un modèle de justice féministe, notamment avec la loi « Seul un oui est un oui ». Mais cette affaire prouve que, même avec une législation progressiste, la réalité est tout autre. Dans l’affaire Alves, il y avait des preuves d’une pénétration (du sperme de l’accusé retrouvé sur la victime), des images confirmant leur présence dans les toilettes. Mais pas de preuve explicite de l’absence de consentement. Une faille qui envoie un message désastreux : même avec des preuves, faire condamner un agresseur reste une mission quasi impossible. Et encore plus si l’homme en question est riche et célèbre.

Le tribunal catalan a parlé. Mais son verdict n’efface pas l’essentiel : la peur et le silence imposés aux victimes. La fiction répare parfois là où la justice échoue. Mais ce n’est pas une fiction que nous avons sous les yeux.

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