Meta, maison-mère de Facebook, Instagram et Whatsapp, quitte Barcelone. Le géant américain faisait travailler plus de 2000 personnes, dont environ 200 francophones, via le prestataire canadien Telus.
Photos : Ajuntament de Barcelona
C’était un jeudi comme un autre pour Anthony*, modérateur des réseaux sociaux de Meta au onzième étage de la Tour Glòres. Comme ses centaines de collègues internationaux ici, il filtre et examine chaque jour des contenus signalés pour violence, incitation à la haine, fraude, harcèlement, pornographie ou toute autre violation des règles de la plateforme. Un travail parfois éprouvant, mais qu’Anthony trouve aussi « intéressant car tu es bien tenu au courant de l’actualité ». C’est d’ailleurs plutôt bien payé pour ce qui est assimilé à un call center, et dans une ambiance de travail agréable selon beaucoup. « C’est vraiment une bonne planque pour les francophones de Barcelone ! »
Mais ce jeudi 3 avril à 11h, les employés sont subitement convoqués au 2e étage. Et à 12h, ils ont déjà rendu leurs badges, leurs casques, et signé un document les enjoignant à ne plus revenir au bureau jusqu’à nouvel ordre. « Personne ne s’y attendait », raconte Emmanuel*, lui aussi Français. « Il y avait une session photo prévue dans peu de temps pour les nouveaux badges, donc personne n’était au courant, pas même les managers ».
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Les responsables de Telus, leur employeur et sous-traitant de Meta, expliquent que l’entreprise américaine a mis fin au contrat au 1er avril afin de relocaliser, sans préciser où, les services de modération de contenus. « En raison de la confidentialité et de la sécurité des opérations de notre client, et à la demande de celui-ci, les plateformes de révision de contenus ont été fermées à compter du 3 avril 2025 à 12h », a indiqué Telus dans un communiqué distribué aux employés.
Dans la tour Glòries, c’est le choc. « Beaucoup de gens étaient en larmes, c’était un peu violent », relate Emmanuel. Parmi les employés, beaucoup ont des familles à charge, des crédits immobiliers et des trains de vie à maintenir. « Il y a des gens qui travaillaient là depuis 6 ans, et s’imaginaient rester encore longtemps… mais c’était trop beau pour durer », ajoute Anthony.
Pour l’instant, tous continuent d’être payés, jusqu’à ce que les négociations aboutissent avec les syndicats « dans les semaines à venir », a indiqué l’entreprise. Certains pourraient être transférés sur d’autres projets de Telus, mais difficile de trouver un poste pour les 2000 personnes employées pour Meta. La plupart espèrent donc pouvoir au moins bénéficier de quelques temps en chômage technique (ERTE) puis d’une petite indemnisation pour rupture de CDI, en plus de leurs droits au chômage, le temps de se retourner. Emmanuel, lui, n’y croit pas trop et, de toute façon, il n’a pas cotisé assez pour toucher les allocations chômage. Il prépare déjà son CV, conscient que la recherche ne va pas être facile, avec plusieurs dizaines de Français comme lui laissés sur le carreau, et qu’il ne retrouvera pas « aussi bien ».
Polémiques et procédures judiciaires
Mais pourquoi Meta a-t-il subitement décidé de fermer son centre de modération à Barcelone ? Aucune réponse officielle n’a été donnée, mais le site cumule quelques casseroles. Un différentiel de rémunération entre modérateurs hispanophones et opérateurs en langues plus rares a notamment conduit à des actions en justice. Les tribunaux ont donné raison aux plaignants, estimant que les modérateurs en espagnol devaient percevoir un salaire équivalent à celui de leurs collègues. L’entreprise a dû verser des milliers d’euros d’arriérés de salaires et pourrait faire face à de nouvelles plaintes.
Plus récemment, un ancien salarié a obtenu en justice la reconnaissance du traumatisme psychique causé par son travail, après plusieurs années de traitement psychiatrique. Le juge a statué qu’il s’agissait bien d’un accident du travail, et non d’une pathologie d’origine personnelle, comme l’affirmait l’entreprise. Enfin, selon plusieurs sources internes, 1 employé sur 5 était en arrêt-maladie, un ratio intenable pour la rentabilité. « Ça ne se passera pas comme ça en Allemagne ou aux Philippines, où ils parlent de délocaliser et où les gens ne se mettent pas en arrêt », croit savoir Anthony.
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Et puis bien sûr, le contexte international plane dans toutes les conversations. Le revirement conservateur de Mark Zuckerberg, qui se rapproche désormais de Donald Trump, entraîne un assouplissement de la modération des contenus sur ses plateformes. L’affaire des droits de douane est également évoquée, Telus étant une entreprise canadienne. Et enfin le spectre de l’intelligence artificielle, qui remplace progressivement certains postes humains, vient accentuer l’incertitude. Pendant que les employés de la Torre Glòries apprenaient la semaine dernière qu’ils perdaient leur travail, tous ont découvert, comme des millions d’Espagnols, l’arrivée de Meta AI sur leur application Whatsapp.
*Les prénoms des intervenants ont été modifiés afin de protéger leur anonymat