Alors qu’un projet audiovisuel va bientôt à investir le site des Tres Chimeneas, tous les yeux sont tournés vers l’ancienne usine. Elle entame ici sa troisième vie, après plus d’un demi-siècle d’existence.
Photo de couverture : Manifesta 15 Barcelona Metropolitana | Arnau Rovira
Parent pauvre de l’architecture barcelonaise, le site des Tres Chimeneas n’en reste pas moins un monument de brutalisme indéboulonnable de la skyline de la cité comtale. Samedi dernier, c’est avec l’objectif de rendre hommage au bâtiment que Salvador Illa, président du gouvernement catalan, a annoncé l’ouverture prochaine du Catalunya Media Center dans ses murs. Ce projet permettra à l’édifice de 22 600 mètres carrés de se transformer en centre dédié à l’audiovisuel, aux jeux vidéo et à la culture numérique, avec des espaces de formation, de production et d’exposition.
Il devrait accueillir entre 2 000 et 2 500 étudiants universitaires et de formation professionnelle par an. Multidisciplinaire, le programme gargantuesque ne fait certainement pas peur à nos trois cheminées, qui ont connu plus d’une vie depuis leur sortie de terre en 1971.
Photo : Garcés De Seta Bonet / Marvel
À l’époque, la centrale thermique de Badalona s’appelle Sant Adrià I, II et III. Elle produit un tiers de l’énergie de Catalogne en brûlant du mazout, alors considéré comme le combustible le moins toxique. Pour éloigner la pollution inhérente à cette combustion, les cheminées sont construites très hautes : 200 mètres, soit plus que la Tour Mapfre et l’Hôtel Arts (152 m) ou que la Sagrada Família achevée (172,5 m).
Malheureusement, c’était sans compter les nuages de poussière retombant au sol et plongeant le territoire immédiat dans des pluies noires. L’effet est si grave que Sant Adrià est déclarée « zone atmosphérique polluée » en 1983 et que les associations de voisins n’auront de cesse de faire fermer le site à cause de ces émissions dangereuses.
Mais ce n’est pas le seul scandale qui éclaboussera l’usine. Juste avant cette crise environnementale, une autre, sociale cette fois, se déclenche. En 1973, lors d’une mobilisation des ouvriers réclamant de meilleures conditions de travail, la police armée franquiste les réprime en tirant à balles réelles, tuant Manuel Fernández Marquez, 27 ans. Une tragédie qui fait grand bruit et marque la lutte ouvrière de l’époque.
La route de l’art
L’édifice continue cependant de fumer jusqu’en 2011, date à laquelle il s’arrête pour de bon et est classé bien d’intêret local. Une distinction qui souligne son rôle social, notamment dans le domaine de l’emploi, malgré sa dangerosité environnementale. De 2012 à 2017, des travaux sont effectués pour démanteler et démolir l’usine, à l’exception des bâtiments qui ont été préservés et catalogués.
Après des années d’inoccupation, 2024 voit arriver Manifesta 15, un festival d’architecture qui investit les lieux, transformant le bâtiment brutaliste en un musée éphémère. Une deuxième vie à l’opposé de son passé industriel, mais qui fonctionne : plus de 87 000 visiteurs s’y pressent, faisant du bâtiment le lieu le plus visité du festival.
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Aujourd’hui, les Tres Chimeneas continuent sur leur lancée artistique en hébergeant le Catalunya Media Center. Une nouvelle vie bien méritée qui devrait commencer en 2028.