« Ils se fondent dans la masse » : ces Français en cavale installés à Barcelone

L’Espagne est depuis des années le pays favori des délinquants français en cavale. Au-delà de sa proximité géographique, elle présente de nombreux atouts pour échapper à la justice tout en menant la belle vie.

Photo de couverture : Clémentine Laurent

Un après-midi en semaine, deux Français se retrouvent dans un café de la Place Catalunya, en plein coeur de Barcelone. Ils s’attablent et discutent dans leur langue, comme n’importe quel touriste autour d’eux. Puis repartent en métro, chacun de son côté. Une scène anodine, comme on en voit tous les jours. Sauf que l’un est un délinquant en cavale et l’autre son avocat.

Le fugitif est venu « se cacher » à Barcelone mais veut maintenant se rendre et négocier de bonnes conditions avec le juge. Il a donc convoqué Maître Mohamed Djema, pour qui ce genre de rendez-vous n’a rien d’inhabituel. « Ils ne se cachent pas du tout, ils se fondent dans la masse », explique-t-il, « ils me disent que finalement, rien ne les différencie ici de n’importe quel touriste venu de la région parisienne ».

Pour cet avocat pénaliste au barreau de Paris, l’Espagne est, de loin, la destination favorite des Français en cavale. En premier lieu, pour sa proximité géographique. « Il s’agit souvent de petits trafiquants, ils partent sur un coup de tête sans aucune préparation quand ils se savent recherchés pour une mise en examen ou que leur procès approche, ils prennent la voiture et traversent la frontière très facilement ».

Deux régions sont alors privilégiées : la Catalogne et l’Andalousie. Toutes les deux se trouvent sur la route de la drogue, qui relie le sud de l’Espagne au reste de l’Europe. Les trafiquants français y ont donc en général des contacts susceptibles de les héberger facilement.

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« Il y a beaucoup de fermes en Catalogne, dans des coins reculés où personne n’ira te chercher », explique Hugo*, client de Maître Djema actuellement incarcéré en France pour trafic de drogue. Cet atout de taille avait d’ailleurs déjà été évoqué par le rappeur Lacrim dans le titre España où il raconte sa cavale : « Y’a des villes en Espagne qu’la PJ n’connaisse pas ».

Une vie en cash et au soleil

Beaucoup choisissent toutefois les grands centres urbains, comme Barcelone, Malaga ou Marbella dans le sud, pour vivre incognito dans la masse de touristes ou d’expatriés sur place. « C’est plus simple pour l’anonymat, les gens ne te calculent pas, personne ne vient te chercher des noises », assure Hugo.

Plus simple aussi pour recevoir la visite de la famille, grâce aux nombreuses connexions aériennes. « Ne plus voir ses proches, c’est souvent le plus dur quand on est en cavale », explique Maître Mohamed Djema. Et les voir au soleil, c’est encore mieux, surtout quand « le coût de la vie est moins cher qu’en France », ajoute Hugo.

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Mais comment assurer ses dépenses quotidiennes sans utiliser de carte bleue pour ne pas se faire repérer ? Autre avantage de la péninsule ibérique : ici, tout est payable en cash, même le loyer. En France, la loi interdit d’accepter des paiements en espèces pour des montants supérieurs à 1000 euros. En Espagne, la limite est 10 fois plus élevée : 10 000 euros, si le client n’est pas résident fiscal espagnol.

Une mesure prise à l’origine pour encourager les dépenses des touristes internationaux. « Personne ne te pose de questions, tout se paie en espèces », confirme Hugo. Dans les boutiques de luxe et restaurants haut de gamme espagnols, le règlement en cash est en effet beaucoup plus habituel qu’en France, et aucun vendeur ne se permet de commentaire.

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Dans cette apparente impunité, certains vont ainsi vivre des mois voire des années sans être inquiétés. « Souvent, il s’agit de petites mains, avec des affaires gérées par des tribunaux français qui ont des moyens limités », explique notre avocat pénaliste. Alors les affaires traînent.

Pour ne rien arranger, la coopération avec les autorités espagnoles fut longtemps laborieuse. Une situation qui a cependant évolué depuis cinq ans, devenant plus fluide et plus efficace. Dans tous les cas, « si on veut attraper quelqu’un, on l’attrape », assure Maître Mohamed Djema, « il faut simplement y mettre les moyens ».

 

*Le prénom a été changé

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