Barcelone, vitrine mondiale… et ville à vendre ?

Les villes s’inquiètent de plus en plus de créer une image qui les rende plus attractives pour les investisseurs, les travailleurs nomades qualifiés et les touristes.
Cette image peut être décrite comme l’ensemble des croyances, idées et impressions que les gens ont à son sujet. Cette représentation la précède et joue un rôle dans la relation que les citoyens comme les visiteurs entretiennent avec elle.

Par Luis Alfonso Escudero Gómez, professeur de géographie humaine, Université de Castilla-La Mancha

La ville est consciente de pouvoir créer son image : une vision idéale ou, du moins, la meilleure possible d’elle-même. Et c’est la première étape vers la construction de sa marque.

Une marque est un outil de promotion qui permet de distinguer un produit d’un autre. Dans le cas des marques urbaines, elles se définissent comme un nom, un terme, un signe, un symbole ou un design destiné à identifier une ville et à la différencier des autres.

L’importance de la marque urbaine

Même si chaque ville cherche à se doter d’une image spécifique, la construction des marques se fait, en réalité, à partir de messages et de stratégies similaires dans le monde entier. Des techniques de marketing urbain sont utilisées pour les singulariser, les différencier, et des tactiques sont mises en œuvre pour convaincre les étrangers qu’une certaine ville est un lieu attractif à visiter, où vivre et où travailler.

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Le nom des villes devient alors une marque, représentée par un ou plusieurs logos, comme c’est le cas de New York. Des éléments graphiques, des valeurs, des attraits et des promesses sont créés et associés à cette ville. Il s’agit donc d’une politique publique de conception et de gestion des signes de la ville. Dans cette démarche, le public et le privé, l’économie et la politique, le marché et la ville coexistent. Les institutions publiques sont alors chargées de promouvoir cette marque.

Le stéréotype et la marchandisation de la ville s’imposent. Ainsi, les villes deviennent des produits de consommation, des marques dotées d’identités et de valeurs commerciales.

L’image touristique

L’image des villes a longtemps été associée à leur promotion touristique, et il existe une forte relation entre l’image d’un lieu, la satisfaction du touriste et sa fidélité à la destination. De nombreux centres urbains fondent leur image sur la mise en avant de leurs attraits pour les visiteurs. C’est le cas des villes espagnoles qui possèdent des biens inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO, et qui construisent une image de destinations touristiques culturelles.

Dans les destinations touristiques, on « vend » des villes pittoresques à travers un regard fragmenté, trompeur et scénographique. Par ce processus, la ville est transformée en son image touristique. Cette démarche peut être un succès, mais elle s’accompagne aussi d’impacts négatifs liés à la surfréquentation touristique.

Dans une étude que j’ai réalisée sur l’image de Tolède, il apparaissait que la ville possédait une image et une marque basées sur une vision partielle de son histoire et sur le caractère pittoresque de son patrimoine. Le Tolède culturel, historique et patrimonial, le « Tolède impressionnant » et sa marque de « Ville des Trois Cultures » constituent le produit construit et mis sur le marché.

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C’est cette image que perçoivent les visiteurs de la ville. C’est pour cela qu’ils viennent à Tolède, mais cela entraîne une déformation de son patrimoine historique et culturel, par son idéalisation et sa stéréotypisation. Une ville est toujours une réalité bien plus complexe qu’un simple espace destiné au tourisme.

Dans l’image touristique culturelle de la ville se cache la réalité sociale de Tolède. En réalité, la majeure partie de la superficie de la ville – là où vit la quasi-totalité de ses habitants – disparaît, tout comme les fonctions urbaines, à l’exception de celle liée au tourisme culturel.

Le cas de Barcelone : succès et illusion

S’il y a un exemple en Espagne qui illustre parfaitement ce processus, c’est bien Barcelone. La deuxième ville du pays s’est adaptée à sa fonction de lieu de consommation et a progressivement construit une image de marque depuis les années 1990. Le marketing urbain et la promotion de la ville ont attiré investisseurs, professionnels et visiteurs.

On peut interpréter ce processus comme une réussite : l’image de Barcelone a évolué au point de parler d’une réinvention de la ville. Aujourd’hui, elle est un centre de conférences, de congrès et de salons, ayant fait du tourisme une base économique puissante. Cette transformation a été baptisée le modèle Barcelone.

touriste barcelone

Cependant, cet exemple de marque urbaine réussie a aussi été la cible de critiques concernant une marchandisation excessive. Cette création d’image souffre de limites et de carences dans le développement économique et social de la ville. L’image de Barcelone ne reflète pas la réalité de ses habitants. Son succès a généré des conflits sociaux dus à une touristification excessive, et une partie de la population réclame aujourd’hui une ville plus vivable.

Une ville n’est pas une marque

Les villes ont besoin de construire une image positive pour développer leur marque urbaine et attirer de nouveaux habitants, des investisseurs, et surtout des touristes. Toutefois, ces représentations transforment la ville en produit, dans un marché global où chaque ville tente de se positionner au mieux. Dans ce processus, la plupart des espaces urbains et des citoyens sont exclus. La vie quotidienne et l’économie réelle ne correspondent pas à l’image publicitaire, et sont remplacées par du design et des techniques marketing.

D’un point de vue critique en géographie urbaine, il est essentiel de considérer les villes non pas comme des produits, mais comme des lieux habitables. Il convient de mettre en place des politiques urbaines contre les inégalités et en faveur du progrès social des habitants. C’est à partir de cette base que la construction d’une image positive et d’une marque peut être légitime — non pas comme une mise en vente de la ville, mais comme l’expression d’une identité partagée.

 

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Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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