Nombreux sont les expatriés qui font le choix de se lancer à leur compte à Barcelone, espérant allier épanouissement personnel et professionnel. Mais tout n’est pas si rose. Témoignages.
« Le salariat, c’est la belle vie ! » Jeanne*, la quarantaine, avoue qu’elle n’aurait jamais pensé prononcer cette phrase il y a encore un an. Rédactrice freelance à Barcelone, elle travaillait principalement pour de petites entreprises et des magazines de voyage. « Cela m’offrait beaucoup de liberté dans mes horaires et mes missions ». Cette maman de deux enfants est arrivée dans la capitale catalane il y a quatre ans, pour suivre la mutation de son mari. Le contexte idéal pour se lancer à son compte, après quinze années en entreprise à Paris. Comme elle, de nombreux expatriés décident de démarrer leur propre activité à Barcelone, parce que c’est un rêve de longue date ou parce qu’ils ne trouvent pas leur place sur le marché de l’emploi local.
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Mais souvent, le quotidien s’avère vite bien plus complexe que prévu. Trouver des clients, négocier les tarifs, encaisser les factures, payer les charges. Jeanne, elle, s’accroche. « Je voulais croire en mes rêves, je me disais que c’était juste le début qui était dur. » Pendant trois ans, elle se donne à fond, jongle entre ses clients, ses projets et ses enfants. Constamment la tête dans le guidon, elle enchaîne les semaines « sans se poser les bonnes questions », raconte-t-elle. C’est son mari qui lui demande un jour si revenir au salariat ne serait pas plus confortable pour elle. « Lui aussi travaillait beaucoup, mais il avait quand même des congés payés, des avantages sociaux et puis des collègues sur qui s’appuyer, moi je commençais à me sentir seule ».
Solitude et responsabilités
Car travailler en solo, c’est devoir assumer toutes les casquettes : commercial, comptable, avocat, communiquant. « La plupart des gens savent qu’être freelance, surtout au début, signifie travailler deux fois plus pour gagner moins, courir après ses clients pour être payé et être bien plus précaire qu’en salariat, mais beaucoup ne s’imaginent pas à quel point il faut être polyvalent », confie Raphaëlle*, trentenaire originaire de Paris. Elle aussi rédactrice, elle a fait plusieurs allers-retours entre freelancing et salariat. « J’ai décidé de chercher à nouveau un contrat à l’automne dernier car ces derniers mois, avec la montée de l’IA notamment, de plus en plus d’entreprises ont préféré utiliser ces outils plutôt qu’embaucher des humains, et j’ai commencé à rencontrer des difficultés financières ».
Raphaëlle a de la chance : elle a trouvé un emploi 100% en télétravail qui lui offre aussi une grande autonomie. « Cette flexibilité est essentielle pour moi. Cela me rassure d’avoir des congés payés, de pouvoir prendre un arrêt-maladie si nécessaire, tout en ayant la possibilité de travailler d’où je veux : c’est le meilleur des deux mondes ».
Pour Jeanne en revanche, c’est le retour au bureau qui a été comme une renaissance. « Je me suis aperçue que j’adorais avoir des collègues, me rendre physiquement sur un lieu de travail où on bosse en équipe ». Car l’isolement social est un vrai défi pour de nombreux freelances. Personne pour partager ses doutes, ses victoires ou même des banalités à la machine à café. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles éclosent de nombreux clubs d’entrepreneurs à Barcelone. Une façon de se sentir entouré et de pouvoir parler de problématiques communes, même si ce n’est que quelques fois par mois.
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Mais pour la quarantenaire, la bonne surprise du retour au salariat a été la possibilité d’évoluer. Après un an dans une multinationale, elle se rend compte de l’étendue des possibilités qui s’offrent à elle, et dont elle n’aurait jamais pu rêver en freelance. « C’est aussi beaucoup de travail, mais j’ai la sensation d’avoir plus de portes ouvertes, alors qu’en indépendante, je me trouvais souvent face à des portes closes, des clients qui ne te répondent plus, qui te paient avec du retard, des partenaires qui te ghostent, de supers projets qui tombent à l’eau ».
Toutefois, la vie en entreprise comporte aussi ses défis et ceux qui ont goûté à l’indépendance finissent souvent par y revenir. Raphaëlle, d’ailleurs, n’y a pas totalement renoncé et poursuit certaines missions en plus de son emploi… une façon de ne pas trop fermer la porte. « Je n’exclus pas la possibilité de revenir un jour 100 % en freelance ».
*Les prénoms ont été changés pour respecter l’anonymat des personnes interviewées