Le lundi, Equinox laisse ses colonnes à une personnalité francophone de Barcelone ou à un membre de la rédaction pour une tribune libre. Et c’est Lucille Souron, journaliste culture et société, qui prend la plume cette semaine.
Photo : Clémentine Laurent
Comment repérer quel établissement est un vrai – et vieux – restaurant barcelonais ou une adresse récemment implantée ? L’esthétique, bien sûr. Je ne compte plus le nombre de fois où je suis rentrée par dépit dans un bar-resto à l’allure miteuse pour finalement manger la meilleure tortilla de ma vie à un prix imbattable. Au contraire, et malheureusement, je sais exactement combien de fois mon portefeuille a souffert d’une visite à un restaurant moderne et design chez qui la nourriture en plus d’être trop chère n’était pas bonne.
Comme le disaient des générations de gourmands avant moi : « l’habit ne fait pas le moine ». Et quand un restaurant affiche des photos en mauvaise qualité sur fond jaune, ça ne veut pas forcément dire que c’est mauvais, simplement qu’il n’a pas besoin de publicité. Pour comprendre un peu mieux le rapport des enseignes au design, j’ai demandé conseil à Alexis, graphiste français à Barcelone, qui m’a confirmé l’importance de l’esthétique dans notre rapport à la nourriture : « la première chose avant de manger ou d’acheter quelque chose, c’est le packaging, le design. Donc inconsciemment ça va influencer notre perception de l’achat ». Le fait que je n’ai pas envie d’aller manger dans un restaurant dont le nom est écrit en comic sans ms est donc normal : me voilà rassurée.
Mais il y a encore un point que j’ai du mal à saisir : pourquoi tous les restaurants, sachant que le design est important dans l’achat, ne s’essaient-ils pas à un peu plus d’esthétique ? Surtout à l’heure d’Instagram, où une seule vidéo d’un endroit branché fait gonfler les ventes.
L’explication est aussi simple que logique : les spots aux enseignes vieillottes et aux menus plastifiés n’ont pas besoin d’artifices pour attirer la foule. Leur réputation repose sur des décennies de savoir-faire et des recettes transmises de génération en génération. C’est aussi ce que me confirme Alexis en me racontant qu’effectivement, « pas besoin d’être beau quand tu as des avis Google élogieux depuis des années ». Je dirais même plus : quand la cuisine se suffit à elle-même, pas besoin de paperasse tendance ou de vaisselle en céramique artisanale. Un simple plat en inox rayé fait l’affaire, pourvu qu’il contienne les meilleures croquetas de la ville.
Bien sûr, tout n’est pas à sauver. Il y a des endroits où la laideur n’est que le reflet d’une cuisine sans âme. Mais ces établissements-là, heureusement, ne trompent personne (à part les touristes). Tandis que les vrais restos barcelonais, eux, cultivent leur décalage avec une fierté presque insolente. Comme s’ils se moquaient de savoir s’ils allaient finir en story Instagram. Leur but est ailleurs : il est dans l’assiette, dans la bouchée de pan con tomate salée parfaitement, dans le verre de vermut servi avec une olive piquante.