« L’Espagnol qui a rendu le monde amoureux » : un livre pour (re)rencontrer Julio Iglesias

Avec son livre paru lundi 24 février, « Julio Iglesias, el Español que enamoró al mundo », le journaliste et écrivain madrilène Ignacio Peyró retrace la carrière et la vie d’un chanteur-séducteur. Le portrait drôle et touchant d’un artiste qui s’est fait ambassadeur de l’Espagne mais est aujourd’hui devenu – bien malgré lui – le symbole d’un siècle révolu. 

Aujourd’hui, évoquer Julio Iglesias à des oreilles non-ridées est comme de parler de Chat GPT à vos arrières grands-parents : vous n’obtiendrez qu’un regard interloqué. Idole du 20e siècle désormais qualifiée de « vintage » par une grande partie de la population mondiale, l’octogénaire Julio Iglesias a mené une vie pour le moins épique.

C’est tout cela que raconte Ignacio Peyró, journaliste et actuel directeur de l’Institut Cervantès de Rome dans un livre amusant et finement écrit de 336 pages. Il n’en faut pas une de moins pour écrire non pas simplement la biographie d’un homme exceptionnel, mais le récit de ce qu’a représenté l’Espagnol dans le monde.

« Ne pas aimer Julio Iglesias serait comme haïr les dauphins », écrit notre auteur dans son introduction. Il n’est pas insensé de dire que le chanteur espagnol vieillit assez mal, mais qu’en effet, il est difficile de le détester. Durant la période franquiste, alors que Bob Dylan de l’autre côté de l’Atlantique répétait que « the times they are a-changing », Julio Iglesias, aucun esprit de rébellion à l’horizon et né dans une famille amie de Franco, se contentait d’écrire des ballades romantiques et de bien les chanter. Ce qui, en soi, est déjà fort louable. Mais ce franquisme familial est de plus en plus mal vu au fur et à mesure que les années passent, et une malédiction quand un commando de l’ETA enlève son père, gynécologue, fin 1981.

Equinox Barcelone julio iglesias

Photo : Harry Langdon – Getty Images

Ceci dit, comment juger un homme qui n’a eu à coeur que de chanter l’amour et la joie de vivre ? C’est pour cette tendresse que provoque immédiatement la chanson Je n’ai pas changé, lorsque nos grands-pères la passent à Noël et dansent avec bonheur que l’on fait – presque – l’impasse sur la franche indifférence avec laquelle Julio Iglesias a traversé le franquisme.

Les bons côtés du chanteur, aspirant gardien de but au Real Madrid dans sa jeunesse avant d’être semi-paralysé pendant plus d’un an, on sait les nommer, et Ignacio Peyró ne les oublie pas. D’abord, l’art de plaire. Les femmes, certes, mais surtout les foules, de la Chine à l’Angleterre. Un succès qu’il doit à son formidable polyglottisme. Capable de chanter en 14 langues, c’est ainsi qu’il séduit à l’époque toutes les jeunesses du monde et leurs parents, qui voient en lui le « petit ami de droite dont toutes les mères de droite rêvent pour leurs filles de droite dans un […] monde de droite », disait l’écrivain Francisco Umbral, que Peyró cite.

Les langues lui auront surtout servies, et de ça le monde hispanophone lui en est reconnaissant, à exporter la langue de Cervantès à l’internationale. Un travail difficile à une époque où l’Espagne était vue comme un pays pauvre et has-been. C’est grâce à lui, donc, que désormais les Bad Bunny, Shakira et Rosalía trouvent non pas porte fermée mais baie vitrée grande ouverte lors de leurs pérégrinations autour du globe.

L’homme qui chantait à l’oreille des gouvernements

Dans le livre, le journaliste explore encore la vie politique du chanteur. S’il ne s’est jamais engagé en faveur d’un parti spécifique ni honni un autre – à l’exception de Donald Trump dans les années 2000 (l’Espagnol était-il visionnaire ?) – à l’instar de nombreux artistes de l’époque, c’est un intime des chefs d’Etat et se fait à l’occasion l’avocat de son pays.

Julio Iglesias, on ne peut pas lui enlever, aime profondément l’Espagne. Et sa capacité à se faufiler dans les coulisses politiques le sert bien, explique l’auteur : « lors du premier mandat de Rodríguez Zapatero, Julio a mis de la vaseline sur les relations alors tendues entre l’Espagne et les Etats-Unis : par l’intermédiaire de son ami Óscar de la Renta, il a obtenu que Donald Rumsfeld reçoive le ministre de la Défense, José Bono, au Pentagone ». De ses relations plus tâchées d’ombre, le journaliste parle aussi.

Julio Iglesias, l’Espagnol le plus connu du monde avec Rafael Nadal et Dalí aurait pu être lobbyiste, écrit encore le Madrilène, mais là n’était pas l’objectif de notre Don Juan du 20e siècle. Aujourd’hui, à 81 ans, Julio Iglesias fait partie de ceux qu’on aime entendre en fin de soirée mais dont on a un peu honte de parler devant nos amis de gauche.

Toujours est-il, conclut Ignacio Peyró, qu’il y a « quelque chose dans son déclin qui coïncide avec le nôtre, et ce livre est aussi un hommage à cette légèreté, à cette joie, à cette innocence. Il est possible qu’avec d’autres chanteurs, nous ayons voulu changer le monde, mais au fil des années, nous nous sommes demandé s’il n’était pas plus honnête de nous limiter, comme Iglesias, à rendre les gens heureux dans les mariages ».

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